INTRODUCTION AU CANTIQUE DES CANTIQUES (3)
L'auteur humain de ce livre, ainsi que son titre l'indique et selon une tradition quasi-générale, juive et chrétienne, semble être le roi Salomon lui-même (970-931 av. J.-C.). Néanmoins, certains critiques modernes, qui se fondent sur la manière dont ce personnage est ici mentionné, qui ne conviendrait pas dans sa propre bouche, et sur des araméismes et des expressions chaldéennes, prétendent faire remonter cet ouvrage à une période très postérieure, selon certains à celle de Néhémie (473-403 av. J.-C.) ou d'Esdras (504-421 av. J.-C.). Cette opinion gagne du terrain. Quoi qu'il en soit, cela peut être de peu d'importance pour notre sujet car le roi ici célébré est le type et la figure du véritable Époux, Jésus-Christ. Ainsi que l'a dit saint Grégoire le Grand, ce qui est vraiment utile pour notre édification, c'est de savoir que c'est l'Esprit Saint lui-même qui a inspiré les Écritures divines, et non pas le nom de l'instrument humain dont il s'est servi pour les écrire.
Toute la tradition juive et chrétienne est parfaitement d'accord sur ce point : le sens spirituel et mystique de cet admirable Cantique est le plus éloquent témoignage du tendre amour et de l'intime alliance de Dieu avec son peuple choisi, et très particulièrement avec ces âmes bienheureuses et privilégiées qui acceptent d'y répondre.
Ainsi Rabbi Eleazar, chef du Sanhedrin, fit condamner, vers l'an 90 de notre ère, l'opinion de l'école de Schammai, qui prenait tout au pied de la lettre, comme s'il ne s'agissait que de noces humaines (1). De la même manière, le deuxième Concile général de Constantinople (553) condamna l'opinion de Théodore Mopsueste (352-428) (2), qui fut, parmi les chrétiens, le premier à considérer ce livre comme une simple épithalame destiné à célébrer le mariage de Salomon avec la princesse égyptienne. Cette opinion est donc certainement inacceptable, quoi qu'en disent les critiques rationalistes.
Une fois admis le sens spirituel ou mystique de cet texte, comme principalement recherché par l'Esprit-Saint, il peut être également admis, comme dans d'autres lieux de l'Ancien Testament, qu'un sens proprement historique et littéral lui serve de fondement. Telle était l'opinion de Bossuet, de Calmet et d'autres commentateurs catholiques, qui dirent que ce livre faisait littéralement références aux noces de Salomon, lesquelles auraient un sens spirituel pour représenter celles du Christ avec l'Église et avec toute âme en état de grâce.
Cependant, bien que cette opinion ne soit pas condamnée et puisse être défendue parce qu'elle présente les apparences de la vérité, elle présente de nombreux et graves inconvénients et c'est pourquoi elle a peu de partisans sérieux. La plupart des catholiques, et des juifs eux-mêmes, prennent ce Cantique non pas au pied de la lettre mais de manière métaphorique ou allégorique (3), comme une véritable allégorie réthorique, c'est-à-dire une métaphore filée comme la parabole du Fils prodigue ou celle de la Vigne (Mt, 20, 7-16), ou celle du Semeur ou encore des noces du fils du roi (Mt 13,3 ; 22,2). Il s'ensuit qu'il s'agit d'un véritable sens premier et littéral, bien qu'impropre ou métaphorique, alors que Bossuet considère qu'il ne s'agit que d'un sens secondaire et figuré. Ainsi, ce sens mystique ou spirituel est le seul sens littéral véritable, le seul recherché par l'Esprit-Saint, et même par l'auteur humain lui-même, qui ne s'est servi de ces images et de ces comparaisons naturelles que pour symboliser les très pures amours surnaturelles. C'est pourquoi Fray Luis de Léon disait que « tout le discours de ce livre est figuré, et allégorique » (in cap. 1, prol.) (4).
Pour se convaincre de ce que le texte ne fait pas et ne peut pas faire référence à des noces humaines quelconques, il suffirait d'observer de près comment, de manière apparemment arbitraire, ces incomparables époux changent de caractère et de condition.
Tantôt ils apparaissent comme des rois ou des jardiniers, tantôt, et plus généralement, comme de simples bergers, avec des traits qui sont très familiers à ces derniers mais qui sont tout à fait inappropriés aux rois. On ne voit pas comment, par exemple, la fille de Pharaon ni aucune femme du fastueux monarque d’Israël peut bien avoir erré la nuit, à sa recherche, dans les rues de la ville, ni avoir partagé « les cabanes des bergers, ses compagnons », comme une humble petite campagnarde. On ne voit pas davantage comment elle pourrait être devenue bronzée à force de marcher au soleil, obligée d'être « la gardienne des vignes ».
Et si les époux étaient en réalité des bergers, ou des laboureurs, on voit mal encore comment ils pouvaient être représentés comme des rois, avec le faste et l’opulence correspondant à ces derniers.
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(1) « Personne, répliqua énergiquement le célèbre Akiba, ne s’est jamais hasardé en Israël à douter que ce Cantique fût un livre sacré (…). Tous les hagiographes sont saints, mais le Cantique est sacro-saint ».
(2) Appelé aussi Théodore d'Antioche, il fut évêque de Mopsueste, en Cilicie.
(3) « Loin, loin, disait Aben-Esra (Praef. in Cant.), que le Cantique des Cantiques chante des chansons sur le plaisir charnel ; tout est dit plutôt au sens figuré ».
(4) Ainsi, je ne nie pas qu'il puisse y avoir un premier sens figuré qui ne soit pas proprement mystique mais en rigueur de termes littéral-historique – comme l’amour de Dieu pour le peuple choisi – et qui serve de fondement à un autre sens plein et plus figuré, et proprement mystique, comme l’est l’amour de Jésus pour chacune des âmes saintes ; ce dernier sens est le principal objet de notre humble commentaire ; ainsi, toutes ces expressions de l’amour divin peuvent très bien entrer dans un même et très large sens figuré.
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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