TÉMOIGNAGES
SUR
LE PÈRE
JUAN G. ARINTERO
DEUX TÉMOIGNAGES DU P. RÉGINALD GARRIGOU-LAGRANGE
(1877-1964)
Rome, Angelicum, 14 mai 1951
Mon révérend Père,
vous m’interrogez sur mes souvenirs du vénéré P. Arintero, que j’eus la grâce et le plaisir de connaître pendant un an à Rome lors de la fondation de l’Angelicum, de novembre 1909 à juillet 1910. Il enseigna ici le Traité de l’Eglise, et j'eus l’occasion de parler fréquemment avec lui de questions spirituelles, lesquelles étaient pour lui les plus intéressantes.
En l’entendant parler de ces choses, j’ai compris qu’il était une âme de prière profonde ; il était alors Maître des novices étudiants, lesquels disaient de lui que « lorsqu’il priait, il n’était plus en ce monde, mais était comme absorbé en Dieu ».
Il m’expliqua qu’ayant perdu au cours d’un voyage le manuscrit de l’un de ses livres sur l’évolution des espèces animales, il avait renoncé à ce genre d’études pour se consacrer à l’étude de la spiritualité, qui lui était nécessaire pour diriger les âmes avancées que la Providence lui envoyait.
Il ajoutait que l’une de ces âmes lui avait fait remarquer que, selon le désir du Seigneur, il convenait, semble-t-il, qu’il consacre plus de temps à la prière et à l’action de grâces après la messe, et qu’il recevrait ainsi la lumière que l’étude ne pouvait pas lui offrir. Il le fit depuis lors, et il conserva toujours l’habitude de passer un long moment dans la prière, ce qui lui permettait ensuite de garder l’union actuelle avec le Seigneur pendant toute la journée.
Il avait à l’Angelicum la réputation d’un excellent religieux : il acceptait très humblement les événements pénibles, par exemple, celui de son retour en Espagne après un an d’enseignement à l’Angelicum, enseignement auquel il devait renoncer à cause d’un certain défaut de prononciation.
Je l’ai consulté plus tard par écrit sur la direction d’âmes qui s’adressaient à moi, et il m’apporta beaucoup de lumière, et particulièrement à propos de la Mère François de Jésus, morte en 1932, fondatrice de la Compagnie de la Vierge à Metropolis, au Brésil. Dans la vie de cette religieuse, que j’écrivis en 1936 (Paris, Desclée de Brouwer), on lit en page 14: « Au cours d’une période de grande obscurité en 1927, nous conseillâmes à la M. Françoise d’écrire au P. Arintero, dominicain, qui a écrit d’excellents ouvrages de Théologie mystique et qui était expérimenté dans ces domaines ». Il lui répondit : « J’ai lu avec attention votre lettre, et je dois vous dire que vous pouvez être très sûre et très tranquille. Tout ce que vous expérimentez est l’oeuvre de l’amour, qui vous dispose à la consommation des noces spirituelles. Il est nécessaire d’expérimenter ce vide absolu pour pouvoir être remplie de la plénitude de Dieu. Et Dieu peut consoler celui qui subit cette épreuve… Il est nécessaire de se configurer à Jésus-Christ dans son abandon de Gethsemani et du Calvaire pour trouver une nouvelle vie glorieuse en Lui. Ceci n’est pas “le prélude d’une mort éternelle”, comme vous le craignez, mais la véritable mort mystique à tout et à soi-même et le prélude de la vie éternelle. Priez pour moi ; je vous bénis au nom de Jésus. Fr. Juan G. Arintero, O. P. Salamanca, 17 juillet 1927 ».
Cette lettre fut une véritable aide dans les épreuves de cette âme, et lorsque plus tard, le 20 février 1928, le P. Arintero mourut en odeur de sainteté, à Salamanque, la M. Fondatrice sut sa mort avant qu’elle ne lui fût communiquée.
Je dois ajouter que le P. Arintero m’écrivit au sujet de la dévotion à l’Amour miséricordieux, laquelle m’a toujours parue vraie et capable de faire entrer les âmes dans les profondeurs du mystère de la rédemption.
Je dois beaucoup aux livres P. Arintero sur l’unité de la vie spirituelle, sur la contemplation infuse, et j’ai essayé de démontrer par les principes les plus certains de la théologie que cette contemplation infuse, qui procède de la foi vive illuminée par les dons d’intelligence, de science et de sagesse, est la voie normale de la sainteté.
Je n’ai pas été du tout surpris que le saint P. Arintero ait obtenu tant de grâces aux âmes qui les lui demandaient.
Tels sont, très révérend Père, mes principaux souvenirs. Je demande au vénéré P. Arintero qu’il m’éclaire et me fortifie et vous prie d’accepter ma religieuse affection.
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Fr Réginald Garrigou-Lagrange
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Au sujet de l'influence exercée par le P. Arintero sur le P. Garrigou-Lagrange, qui fut l'un des fondateurs de la revue française La Vie Spirituelle (1919), cf. Sylvio Hermann De Franceschi, "La défense doctrinale du système thomiste de la mystique étendue, Le P. Garrigou-Lagrange et la construction d'une école dominicaine de spiritualité", Revue des sciences philosophiques et théologiques, 2019/1, t. 103, pp. 113-143.
L'auteur y indique notamment : « Le ralliement de l’école de saint Thomas au système de la mystique étendue » [c'est-à-dire de l'appel général de toutes les âmes à la vie mystique], après les travaux notamment de l'abbé Auguste Saudreau (1859-1946), « a été ensuite l’œuvre du dominicain espagnol Juan González Arintero (1850-1928), qui publie en 1908 son Evolución mística (...). À la suite du P. Arintero, dont il a fait la connaissance à l’Angelicum en 1909-1910 et avec qui il a noué des liens d’amitié, le P. Garrigou-Lagrange s’est lui aussi rangé au parti de la mystique étendue. (...) Alors plongé dans la préparation de son cours de théologie ascétique et mystique à l’Angelicum, le P. Garrigou-Lagrange s’est d’ores et déjà fait sa doctrine, et il la puise explicitement chez le P. Arintero, dont les Cuestiones místicas publiées en 1916 – l’ouvrage développe les analyses précédemment délivrées dans son Evolución mística et indique un attachement toujours plus marqué à la défense du système de la mystique étendue – sont manifestement devenues son livre de chevet » (pp. 120-123).
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
« Vous qui êtes ici, dites un Pater à mon profit.
Pour moi ferez beaucoup et vous n’y perdrez mie. »
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