L'ÉVOLUTION MYSTIQUE DANS LE DÉVELOPPEMENT DE L'ÉGLISE (3)
Combien de sages, aujourd'hui, qui restent inaltérables devant les arguments de l'apologétique extrinséciste – forgée, pourtant, avec la dialectique la plus éprouvée – ouvriraient avec effusion leurs cœurs affamés au surnaturel, s'il leur était présenté tel qu'il est, c'est-à-dire comme une irradiation de la vie et de l'amour infini d'un Dieu amoureux de nos pauvres âmes ! Combien de nobles esprits, amants du bien et de la grandeur, qui se sacrifient à rechercher la vérité et la vertu, mais qui trop touchés de criticisme – et peut-être agacés par les agressions d'apologistes improvisés qui se meuvent sur des plans très différents de celui de la mentalité contemporaine – résistent obstinément à des raisons aujourd'hui à peine comprises et à peine accessibles, prêteraient cependant une oreille attentive s'ils voyaient que l'on s'adresse à eux simplement, avec cet accent d'amour et de sincérité des Apôtres et des saints Pères, ce langage vivant et palpitant par lequel, exprimant ce qu'ils ressentaient – ce qui jaillissait du fond de leur âme – paraissaient infuser dans les cœurs l'esprit dont ils étaient eux-mêmes remplis ! Ce langage divin, ces paroles de vie, confirmées par l'exemple, par les œuvres de lumière qui glorifient le Père céleste, leur feraient comprendre que nous ne pouvons pas être des hommes dignes accomplis sans être de parfaits chrétiens parce que, selon la belle expression de saint Augustin, « il n'y a d'hommes parfaits que les véritables enfants de Dieu ».
Quand ils connaitront ainsi un peu le don divin, et découvriront le trésor caché, alors ils troqueront pour lui tout ce qu'ils ont. Ils se plaindront alors de nous, qui avons tant tardé à leur manifester un bien si incomparable. Au milieu d'ineffables consolations, mêlées de douces larmes, ils s'exclameront avec ce grand converti : « Oh Beauté si ancienne et si nouvelle, comme j'ai tardé à te connaître, comme j'ai tardé à t'aimer ! » (1). Comme ils se lamenteront alors d'avoir dissipé leur esprit, honteux d'avoir pu mettre en doute la vérité objective de nos dogmes très saints ! Et si cela peut se produire pour nombre de ceux qui passent pour être nos ennemis, il peut a fortiori en être ainsi pour tant de chrétiens qui vivent dans une ignorance totale de ces vérités. Combien de pécheurs se convertiraient et combien de tièdes deviendraient fervents, pour suivre enfin avec courage le chemin de la vertu, s'ils connaissaient bien l'incomparable dignité du chrétien comme fils de Dieu, frère de Jésus-Christ et temple vivant de la Trinité, laquelle demeure en tant de cœurs sans que ceux-ci s'en aperçoivent ou y attachent la moindre importance ! Il est bien certain que nombre de ceux qui ne sont à l'affût que des biens fugaces du monde s'efforceraient de vivre saintement s'ils comprenaient bien à quel point il est important pour eux de veiller sur le trésor divin et de le cultiver, et à quel point ils sont tenus de développer le germe mystique de vie éternelle qui est enterré dans leurs cœurs, sans qu'ils le fructifient !
Malheureusement, peu nombreux sont ceux qui connaissent le riche et glorieux héritage dont Jésus-Christ a rendu les saints dépositaires (Éph. 1,18) et le rigoureux devoir que tous, par le seul fait d'être baptisés en Lui, nous avons de nous revêtir de Lui, de nous configurer à son image, en aspirant, pour de vrai, comme à une unique fin, à nous sanctifier dans la vérité (cf. Rom. 8,29 ; Éph. 1,4 ; Jean 3,3 ; 17,17-26, etc.).
« Jésus-Christ – observe le P. Weiss – n'a fondé son Église que pour qu'elle soit sainte (Éph. 5,26). La véritable société des fidèles doit être un peuple saint (Pierre, 2,9). Tous ceux qui acceptent la foi chrétienne sont appelés à la sainteté (Rom. 1,7 ; 1 Cor. 1,2). Ou bien on y aspire, ou bien on renonce au nom de chrétien, au titre de saint. Car ce que Dieu veut, c'est notre sanctification (1 Thess. 4,3) » (2).
Les âmes spirituelles pourront elles-mêmes trouver dans ces études sur la vie mystique bien des lumières de nature à suppléer la rareté des directeurs, dont elles se plaignent tant. Ces études les stimuleront puissamment pour monter à leur propre Calvaire. Elles leur permettront de trouver des solutions à bien de leurs difficultés.
Elles leur apporteront une tranquillité et une joie inexplicables lorsqu'elles verront confortés leurs timides pressentiments de l'ineffable œuvre de déification qui se réalise en elles, de l'action intime, vivifiante, de l'Esprit sanctifiant, de l'adorable présence de toute la Trinité et des amoureuses et très douces relations par lesquelles elles se sentent liées à chacune des trois Personnes divines. Quel courage ne trouvent pas ces âmes, en effet, lorsqu'elles reconnaissent les phases successives par lesquelles il leur faut passer pour arriver à l'union intime et transformante, à la parfaite configuration avec le Christ, au moment solennel où, toutes empreintes déjà de son sceau divin, elles pourront dire avec l'Apôtre : Vivre, pour moi, c'est le Christ !
C'est donc à tous que j'adresse ces humbles pages. Je désire servir tout le monde, en adressant à chacun cette question du Psalmiste : « Où est l'homme qui désire la vie, épris de jours où voir le bonheur ? » (Ps. 34,12). Celui-là trouvera dans ces pages, sinon tout ce qu'il désire sur la matière, ni tout ce qui peut en être dit – qui serait interminable – du moins quelques indications du chemin qu'il doit suivre pour satisfaire sa faim et sa soif de justice, de vie, de vérité et d'amour. Telle est, par ailleurs, la meilleure apologie que l'on puisse faire de l'Église et le meilleur moyen de se prémunir de tous les errements, d'éviter ou de remédier aux dommages causés par ces tendances exagérées que sont le spéculativisme, le sentimentalisme, le traditionalisme et le modernisme, lesquels produisent aujourd'hui tant d'agitations, de confusions, de discussions et de lamentables désertions.
Sans une exposition, même brève, du fond de la vie surnaturelle et du développement de la perfection chrétienne, la défense de notre Religion serait toujours incomplète et défectueuse. Pour rendre aimable l'Église de Dieu, il n'y rien de tel que de montrer les ineffables attraits de sa vie intime. La présenter uniquement dans sa rigidité extérieure, c'est quasiment la défigurer, la rendre déplaisante. C'est comme la dépouiller de sa gloire et de ses principaux enchantements. « Toute sa gloire est au-dedans ». Aujourd'hui plus que jamais, ainsi que le relève Blondel, il faut, pour attirer les hommes à l'Église, leur manifester les célestes splendeurs de son âme divine.
Ainsi présentée, telle qu'elle est, sans caricature, sans atténuation, sans être rabaissée ni défigurée par de basses et étroites appréciations humaines, l'Église elle-même – pleine de grâce et de vérité, à l'imitation de son Époux – rend perpétuellement témoignage de sa mission divine et constitue sa meilleure apologie. La vérité divine n'a pas besoin de se défendre : il lui suffit d'être présentée dans sa splendeur naturelle et sa force irrésistible.
En étudiant, dans le Livre I de cet ouvrage la constitution divine de la sainte Église, nous avons vu les nombreux et différents symboles par lesquels elle est figurée et représentée dans les Écritures, méritant ainsi d'être appelée « première née parmi les créatures », et « œuvre maîtresse de la Sagesse éternelle ». Selon l'un de ces symboles, elle apparaît comme une maison, une cité de Dieu, comme la porte du ciel et le temple vivant de l'Esprit Saint. Selon un autre, elle est une famille divine, « une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut, pour annoncer les merveilles de celui qui nous a appelés des ténèbres à son admirable lumière » (1 Pierre, 2,9), un peuple sur lequel règne Dieu lui-même, s'entretenant familièrement avec tous ses vassaux, qui sont autant de fils. D'autres fois, elle est figurée comme un jardin des délices divines, où fleurissent toute vertu et toute sainteté. Elle est encore représentée comme un champ, dans lequel croît et fructifie la parole divine. D'autres fois encore, elle apparaît comme un troupeau, dont les brebis connaissent leur pasteur et le suivent, que ce dernier appelle par leur nom et auxquelles il donne la vie éternelle.
Outre ces trois symboles – que nous avons qualifiés d'architectonique, de sociologique et d'agricologique – il y en a deux autres plus appropriés, qui nous permettent de pénétrer plus profondément et de nous élever davantage dans la considération des divins mystères. Il s'agit du symbole sacramentel, et du symbole organico-anthropologique, par lesquels l'Église apparaît, respectivement, comme Épouse de l'Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde, et comme Corps mystique de Jésus-Christ. C'est à ces deux derniers symboles que nous allons nous attacher ici de préférence, sans exclure cependant les autres à l'occasion.
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(1) Saint Augustin, Confessions, L. 10, chap. 27.
(2) Apologie du christianisme, t. 9, conf. 4.
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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