L'ÉVOLUTION MYSTIQUE DANS LE DÉVELOPPEMENT DE L'ÉGLISE (2)
Comme il est fréquent que les petits demandent le pain de la parole divine, sans qu’il y ait personne pour le leur partager (Lamentations de Jérémie, 4,4) ! Ils recherchent sur les lèvres du prêtre la science des chemins de Dieu et n’y trouvent que les lumières trompeuses de la prudence de la chair. Se croyant entre les mains d’un guide expérimenté, ils se laissent conduire par un aveugle, qui les conduit au précipice (Mt, 15,14) ! C’est de la sorte que la piété finit par se refroidir et la foi elle-même par être perdue, faute de maîtres qui sachent parler avec grâce (Col. 4,6) et exhorter par une saine doctrine (Tite, 1,9).
D'où vient que notre sainte Religion soit de moins en moins enracinée dans le peuple et que, d'esprit et vie qu'elle est, elle soit si souvent réduite à de vaines extériorités, à des pratiques routinières et à un symbolisme mort ? D'où vient cette glaciale indifférence avec laquelle la plupart de ceux qui se disent chrétiens regardent les choses sacrées ? L'une des causes les plus décisives de cette situation est, à n'en pas douter, la rareté actuelle de ceux qui, ayant un sens aigu et une connaissance approfondie des grands mystères du Royaume de Dieu dans les âmes et des merveilles qu'accomplit en elles l'Esprit vivifiant, sont capables de les faire connaître convenablement (1). Les études portant sur la vie mystique sont dédaignées, et l'on en vient à ignorer ou à défigurer totalement le fond même de la vie chrétienne. Peu de pasteurs parlent au peuple un langage dense, simple, bien senti, sans artifice, sortant d'un cœur embrasé et lumineux. Telle était pourtant la façon de s'exprimer des Apôtres et des Pères, vivante, animée et palpitante. Il n'est pas étonnant, dès lors, que tant de fidèles, à l'image des fameux disciples d'Éphèse, aient à peine entendu parler de l'Esprit Saint sanctifiant les âmes, ou même ne sachent même pas qu'il existe.
Ils ne seront alors guère « prêts », comme nous l'ordonne pourtant de l'être saint Pierre – et comme il est si nécessaire que nous le soyons tous aujourd'hui - « à rendre raison de leur foi à ceux qui les interrogent sur l'espérance qui est en eux » (1 Pierre, 3,15). Ils ne pourront pas davantage « se conduire avec sagesse avec ceux du dehors » comme le désire saint Paul (Col. 4,5 ; Éph. 5, 15-16). Alors, ne sachant que répondre, ils les repousseront au lieu de les attirer, en se mettant ainsi eux-mêmes en grand danger. N'étant pas en mesure de se comporter avec cette sagesse qui « n'est pas vaincue par la malice », ils seront facilement attirés sur des voies de perdition. Jadis, la plupart des fidèles, profondément pénétrés des mystères divins, répondaient divinement lorsqu'on les interrogeait à leur sujet. Parce qu'en réalité, « ce n'étaient pas eux qui parlaient, mais l'Esprit du Père qui parlait en eux » (Mat. 10,20). Il n'y avait rien d'étrange, dès lors, à ce que leur langage enchanteur ait captivé leurs ennemis.
Aujourd'hui, malheureusement, les rôles sont inversés. Très nombreux sont les chrétiens qui, au lieu de captiver, sont « la proie d'une philosophie vide et trompeuse, fondée sur la tradition des hommes, sur les forces qui régissent le monde, et non pas sur le Christ » (Col. 2,8).
Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que la véritable lumière de vie fait défaut dans leurs cœurs, et que la parole de la sagesse salutaire est absente de leurs lèvres (2). Si le cœur du sage connaît le temps et ses exigences (Eccle. 8,5), les ignorants des choses de Dieu, ignorant même ce qu'elles sont, ne s'épargnent aucun effort pour étudier la mentalité de leurs adversaires, et pour s'y adapter au besoin. Au lieu de se sacrifier « pour se faire tout à tous, afin de les gagner à Jésus-Christ » (1 Cor. 9,22), ils se perdent eux-mêmes par manque de discrétion et de zèle selon la science.
Il est incontestable que l'ordre surnaturel, pourtant si merveilleux, a perdu aux yeux de beaucoup ses divins enchantements, en raison du prestige grandissant des sciences naturelles, dont les progrès ont été si rapides, des préjugés profondément enracinés relatifs à la suffisance et à l'autonomie complète de la raison humaine, et des blessures mêmes infligées à cette dernière par le criticisme. Au point que nombreux sont ceux qui considèrent que cet ordre répugne à la raison, soit parce qu'ils estiment qu'il la détruit ou la perturbe, comme s'il s'agissait d'une contrainte extérieure, violente, paralysant toutes nos activités humaines, soit parce qu'ils considèrent que son existence est impossible à vérifier selon les raisonnements extrincésistes à la mode. Il s'ensuit que nombre de sages, pourtant sincères, en viennent à regarder l'ordre surnaturel avec aversion ou avec mépris, à cause de l'idée très fausse qu'ils s'en sont formée. Malheureusement, force est de reconnaître que bien des apologistes, qui ignorent ce dont ils parlent, ne sont pas étrangers à cette situation.
Comment dès lors ouvrir une brèche dans ces âmes, et dans tant d'autres qui, par ignorance ou par malice, ferment leurs oreilles à la parole de Dieu et leurs cœurs aux influx de la grâce, par crainte de recevoir la mort là où, précisément, est la vie dont ils ont besoin ? À quelle méthode recourir pour conduire les savants enorgueillis de leur « inaliénable autonomie » et de leur science pompeuse à l'humble service du Christ et à la sainte folie de la croix ?
La méthode apologétique la plus universelle, la plus suave et la plus en harmonie avec les conditions actuelles de la pensée, est l'exposition positive, vivante et palpitante, des mystères de la vie chrétienne et de tout le processus de la déification des âmes.
Elle consiste à montrer pratiquement que le surnaturel ne vient pas à nous comme une contrainte extérieure et violente qui nous opprime ou nous dénature, mais comme une augmentation de vie, librement acceptée, qui nous libère et nous grandit. Elle ne nous prive pas d'être des hommes, elle nous rend surhumains, fils de Dieu et dieux par participation.
« Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, pour que tout homme qui croit en lui de périsse pas mais ait la vie éternelle » (Jean 3,16). Le Dieu vivant et véritable, le Dieu d'infinie bonté, ne vient donc pas à nous pour nous tuer ou nous paralyser, mais pour nous déifier, en nous rendant participants de sa propre vie, de sa vertu, de sa dignité, de son bonheur, de sa puissance et de sa souveraineté absolus. En nous communiquant son Esprit, il nous donne la seule autonomie et la seule liberté véritables, la glorieuse liberté des enfants de Dieu (2 Cor 3,17).
Oh, si nous pouvions bien faire connaître ces sublimes vérités ! Combien d'âmes ne captiveraient-elles pas ! À combien ne pourrait-on pas dire ce que le Sauveur a dit à la Samaritaine ! Si tu savais le don de Dieu... (Jean, 4,10). Il est bien certain qu'un grand nombre de ceux qui montrent tant d'aversion pour la vie spirituelle, s'ils connaissaient les indicibles enchantements et les ineffables délices qu'elle renferme, au milieu de ses apparentes tristesses et de ses amertumes, la désireraient de toute leur âme et s'efforceraient de s'y consacrer totalement, en correspondant à la grâce par laquelle Dieu les invite.
« Vous tous qui êtes assoiffés, venez boire les eaux de la vie ; goûtez-les, et vous verrez comme elles sont délicieuses ! Écoutez l'invitation divine, et vos âmes vivront ! » (Isaïe, 55,1-3) (3). « Avec quelle joie vous recevrez les eaux qui s'écoulent des sources du Sauveur ! » (Isaïe 12,3).
Si ce qui ne peut être assimilé en nous et vécu nous paraît être une violence odieuse, à tout le moins inutile, en revanche, ce qui se traduit par un accroissement de vie véritable est profitable, aimable et désirable pour tous. Si l'on exposait ainsi notre sainte Religion, positivement, selon le goût des modernes, comme un rayon de lumière infinie, comme une source inépuisable de vie, alors combien de ses ennemis ne l'estimeraient pas et ne s'intéresseraient pas à elle, alors que, présentée autrement, ils n'en veulent même pas entendre parler !
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(1) « Si haute que soit que soit la doctrine, avertit saint Jean de la Croix, elle ne produira ordinairement d'autre fruit que celui que saura lui donner celui qui l'enseigne » (Avis 192).
(2) « Vous, ô divin Verbe ! s'exclame sainte Marie-Madeleine de Pazzi, vous donnez à qui vous suit une lumière vivifiante, glorifiante et éternelle, qui donne la vie à l'âme qui la possède et vivifie toutes ses pensées, ses paroles et ses actions. Ainsi, une parole de cette âme est comme une flèche de feu qui traverse les cœurs des créatures » (Oeuvres, p. 9, chap. 5).
(3) Mais si vous ne croyez pas, vous ne pourrez pas comprendre (Isaïe, 7,9). Et si vous n'expérimentez pas la vérité, vous ne parviendrez pas à la voir. « Les choses spirituelles – dit saint Thomas (in Ps. 33) – il faut les goûter avant de les voir, car personne ne les connaît sans les avoir d'abord goûtées. C'est pour cela qu'il est dit : goûtez et voyez ».
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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