LA VIE MYSTIQUE DE SAINTE THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS (3)
COMMENT OPÉRAIT THÉRÈSE, MUE PAR LES DONS DU SAIN-ESPRIT
Que sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus fût une âme mystique, nous venons de le voir et nul n'en peut douter. Pour achever de le prouver, il suffirait de l'héroïcité de ses vertus, reconnue et déclarée par l'Église. Car, l'héroïsme habituel des vertus chrétiennes suppose – comme presque tous le reconnaissent aujourd'hui avec saint Thomas – quelque chose de plus que l'ascétisme et doit être produit par les sept dons de l'Esprit-Saint qui, faisant agir l'âme d'une façon surhumaine (1), constituent et caractérisent l'état mystique.
Le propre de cet état est de si bien régler la charité dans l'âme, qu'elle arrive à s'oublier elle-même, pour aimer Dieu comme il faut « de tout son cœur, de toutes ses forces... et le prochain comme soi-même ».
C’est bien ce que nous voyons s'opérer dans la petite sœur Thérèse, dont la vie fut comme une respiration d'amour. Cet amour si délicat, même dans sa plus tendre enfance - nous savons qu’alors sa plus grande peine était la crainte d'avoir contristé le Bon Dieu ou blessé le prochain – prouva bien vite qu'il était plutôt grâce infuse que vertu acquise (Vie, chap. V et IX). Quoique tous les dons opérassent ensemble dans l'âme de Thérèse, nous voyons s'y manifester d'abord, et d'une manière spéciale, celui de Piété qui lui rendit comme sensible la douce action de l'Esprit Saint criant en nous : Abba ! Pater ! et lui dicta la forme de ses rapports avec Dieu, rapports empreints de la plus tendre familiarité, de la plus douce confiance (2). Aussi connut-elle parfaitement par expérience tout le sens et la portée de cette appellation de Père !... et c'est bien dans le mystère de la filiation divine qu'elle trouva le secret de sa sainteté précoce, comme aussi celui de sa petite voie d'enfance spirituelle.
Elle se sent vrai fille de Dieu le Père ; dès lors elle regarde Jésus comme son frère et, en Lui, elle reconnaît pour tels tous les hommes. Aussi chérit-elle d'une affection toute particulière, comme des trésors de famille, tout ce qui appartient au culte divin. De là, son respect pour les vases sacrés. De là, surtout sa vénération pour les ministres du Seigneur, qui sont pour elle les images vivantes de Jésus-Christ. De là sa grande compassion pour les pauvres et les malades, dans lesquels elle voit les membres souffrants du Rédempteur.
Ce don de piété paraît caractériser, tout à fait, l'esprit de cette admirable sainte, qui, toujours et en tout, s'est montrée avec la candeur, l'humilité, la simplicité et le confiant abandon de l'enfant... de l'enfant qui sait très bien que, s'il ne peut rien de lui-même, il peut tout attendre de la bonté, de la tendresse de son très cher Père, car celui-ci le défendra du danger, le portera partout où il ne pourra arriver, fût-ce aux plus sublimes hauteurs, et lui enseignera tout ce qu’il doit savoir.
C'est bien cet esprit filial qui la faisait s'écrier : « II me semble toucher déjà le rivage éternel. Il me semble recevoir les embrassements de Jésus... Je crois voir la Vierge Marie venant à ma rencontre avec mon père, ma mère, les petits anges mes frères, mes sœurs ! Je crois jouir enfin, pour toujours, de la vraie, de l'éternelle vie de famille ! » (Vie, chap. IV).
À regarder superficiellement l'âme de Thérèse on pourrait croire que le don de crainte de Dieu eut en elle peu d'action, tant la confiance domine tout. Rien n'est plus vrai, si l'on entend parler de la crainte servile, car, celle-ci, jamais elle ne la connut, et moins encore agit-elle, jamais, par ce sentiment : « Je suis d'une nature telle, que la crainte me fait reculer ; avec l'amour non seulement j'avance mais je vole » (Vie, chap. VIII).
Quant à la vraie crainte filiale de Dieu celle qui naît de l'amour, elle la posséda au plus haut degré, et ce don ne cessa de croître, jusqu'à la fin, en raison même de son ardente charité. Nous en avons pour garant sa profonde révérence envers la divine Majesté, son horreur des moindres fautes, et le soin délicat avec lequel elle évitait tout ce qui pouvait faire de la peine au Bon Dieu (1).
À ces dons de piété et de crainte de Dieu vint bientôt s'ajouter celui de science qui allait lui enseigner les mystères du Royaume de Dieu et l'enrichir, de si bonne heure, de la science des saints (2).
Se servir des créatures comme d'échelons pour s'élever jusqu'à Dieu ; savoir découvrir le côté surnaturel d'événements que d'autres regardent comme tout-à-fait ordinaires : tels furent les premiers effets de ce don qui révélait à Thérèse, avec le symbolisme des choses naturelles, les riches trésors si souvent cachés sous les plus vulgaires apparences.
Alors, comme elle le déclare dans les ravissantes relations de son enfance, toute la nature lui parlait de Dieu et la faisait s'élever vers le ciel où étaient son cœur et son trésor... depuis les gouttes de rosée, dans lesquelles elle voyait une image de l'âme embellie par les rayons du soleil divin... jusqu'aux étoiles du ciel, ou elle lisait son propre nom écrit... depuis la fleurette où elle découvrait un reflet de la beauté et du parfum de Dieu, jusqu'à l'horizon illuminé par les feux de l'aurore, qui lui révélait sa splendeur. Dans la fureur des tempêtes, elle adorait, joyeuse et tranquille, la puissance du Père Céleste, dont elle aimait à contempler la grandeur et la majesté en la vaste étendue de l'océan... et, de la bonté divine, elle croyait voir un reflet dans l'expression du visage de sa pieuse mère :
« Je sens encore, écrit-elle, les impressions profondes qui naissaient dans mon cœur à la vue des champs de blés, émaillés de coquelicots, de bleuets et de pâquerettes. Déjà, j'aimais le lointain, l'espace, les grands arbres ; en un mot, toute la belle nature me ravissait et transportait mon âme dans les cieux. »
Oui, tout lui parlait du Bon Dieu, même les terribles phénomènes des tonnerres et des éclairs : « Je me rappelle, dit-elle dans sa Vie, à propos des nuages, qu'un jour le beau ciel bleu de la campagne s'en couvrit ; bientôt l'orage se mit à gronder avec force, accompagné d'éclairs étincelants. Je me tournais à droite et à gauche pour ne rien perdre de ce majestueux spectacle ; enfin je vis la foudre tomber dans un pré voisin, et, loin d'en éprouver la moindre frayeur, je fus ravie ; il me sembla que le Bon Dieu était tout près de moi ».
Tout ceci sort de “l'ordinaire”, il faut en convenir, et ne peut s'expliquer que par une puissante influence surnaturelle.
Sans cette influence, incompréhensible serait l’affirmation de Thérèse de n'avoir rien refusé au Bon Dieu depuis l'âge de trois ans. Incompréhensible, même, serait la préoccupation de la toute petite enfant demandant tous les soirs si elle avait été sage, si le Bon Dieu était content d'elle... et ne consentant à s'endormir qu'après un oui rassurant.
Cela prouve que sa vertu se trouvait déjà plus on moins ordonnée par les dons de l’Esprit-Saint qui la faisaient agir, non comme ont coutume de le faire les enfants modèles, mais d’une manière qui contraint de reconnaître en elle une action supérieure.
Jugeant des choses selon leur sens divin, Thérèse vit toujours clairement l'usage le plus parfait qu'il convenait d'en faire et choisissait comme d'instinct les meilleurs moyens de sanctification pour elle et pour les âmes qui lui étaient confiées.
Ce don de science devait l'éclairer plus tard dans ses obscurités de la nuit des sens (3). D'accord avec celui de sagesse, il lui fit savourer les douceurs cachées sous l’apparente amertume des croix. Il allait surtout lui découvrir « sa voie » et lui donner de savoir l'enseigner aux autres.
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(1) « Le don de crainte » de Dieu nous inspire une sainte horreur pour le péché, comme opposé à la bonté suprême et à la sainteté divine ; il nous fait détester d’une façon spéciale l’orgueil, la duplicité et la sensualité, comme obstacles principaux à la communication du Saint-Esprit (Sag. 1.5 ; Prov. 8,15), et nous porte, comme instinctivement et sans aucune réflexion, à traiter le Dieu de Majesté avec humilité et révérence et à nous soumettre docilement à ses adorables inspirations.
(2) « Le don de science » est une sorte de participation de la science divine. D’un simple regard et sans qu’il soit besoin de raisonner, il nous fait connaître les choses créées dans leurs relations avec Dieu et nous porte à juger sagement toutes choses, avec des vues surnaturelles, en voyant dans tous les événements une certaine clarté divine.
(3) « La nuit des sens » consiste en la privation de la lumière et de la ferveur ordinaires, de sorte que l'âme demeure dans l'obscurité, sèche et froide pour le bien, incapable de méditer et sans goût pour s'exercer aux affections saintes et pour prendre des résolutions. Elle est obligée de demeurer dans le silence et l'espérance pour pouvoir supporter les épreuves et les grandes contrariétés qui lui surviennent alors.
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
« Vous qui êtes ici, dites un Pater à mon profit.
Pour moi ferez beaucoup et vous n’y perdrez mie. »
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