LES DONS DU SAINT-ESPRIT (3)
Cependant, pour cela, l’âme doit subir une métamorphose mystique, laquelle est une transformation tellement prodigieuse qu'elle renouvelle tout, jusqu'aux profondeurs les plus intimes de l’être. C'est ainsi que, de chenille maladroite, qui marchait si lentement et si péniblement, et qui se nourrissait de choses terrestres, elle devient un papillon agile, brillant et aérien, car elle est désormais animée d’autres instincts, entièrement célestes (1).
Cette belle comparaison de sainte Thérèse est celle qui peut le mieux nous montrer le mystère réalisé dans l’âme qui a ainsi abandonné - ou qui par une loi vitale a été contrainte d’abandonner - les normes de la raison pour celles de l'Esprit, et qui est ainsi complètement configurée au Christ, après avoir troqué ainsi totalement l’image de l’homme terrestre pour celle de l’homme céleste, afin de vivre en tout comme celui-ci et non plus comme celui-là (2).
Cette rénovation est préparée par la nuit des sens, dans laquelle, ceux-ci étant soumis à la raison, l’âme commence à remarquer assez fréquemment les influences supérieures de l’Esprit Saint. Cependant, lorsque cesse ce souffle divin - ce qui se produit souvent et longtemps - l’âme ainsi abandonnée de l’Esprit de Dieu, défaille et se voit contrainte de retourner à sa vie mesquine et ordinaire, et de marcher à son propre pas, avec ses vertus pour seul appui, en se dirigeant à la seule lumière obscure de la foi, selon les normes de la prudence. Puis l'Esprit souffle à nouveau, et l’âme se retrouve alors comme recréée, en voyant se renouveler la face de son pauvre coeur (Ps. 103, 29-30). Lorsque cette rénovation est devenue totale, ainsi qu’il advient après être passé par la grande ténèbre, le doux souffle de l’Esprit Saint la rafraîchit sans cesse, et l’impétuosité des flots de son eau vive réjouit pour toujours cette cité de Dieu, une fois que le Très-Haut a sanctifié sa demeure pour ne plus alors l’abandonner (Ps. 45, 5-6). Ainsi, en fécondant et en faisant germer ce ténébreux chaos, comme au principe de la création, l’Esprit d’amour fait briller dans l’âme la divine lumière.
Pour que ce bienheureux passage à une vie si nouvelle et si belle se réalise pleinement, l’âme doit, qu’elle le veuille ou non, s’insérer dans le cocon mystique qui lui est fabriqué dans la très obscure nuit de l’esprit, où, au milieu des plus terribles ténèbres, rendue inerte, immobile, incapable de toute initiative propre, mourant à elle-même, elle doit revivre pour Dieu.
Là, ensevelie avec le Christ - où elle semble se détruire et expérimenter une dissolution totale - elle accumule continuellement de nouvelles énergies divines. A mesure qu’elle s’éloigne des vestiges de sa marche terrestre, elle développe de nouveaux organes spirituels, par lesquels elle sera ensuite mue, conduite et dirigée totalement par l’Esprit divin afin de procéder, dès lors, sous les apparences d’un esclavage, selon la glorieuse liberté des enfants de Dieu. Car ceux qui sont ainsi agis et portés par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont ses fils fidèles (Rom., 8, 14-21). Afin de ne pas résister, sans le vouloir, aux motions de l’Esprit Saint par les pieuses initiatives de leur propre prudence, ils auront dû être soumis à cette pénible incapacité à tout, dans laquelle, au milieu de mortelles angoisses, ils ont été profondément renouvelés et rendus pneumatiques, c'est-à-dire « spirituels ».
« Ainsi donc, ô âme spirituelle, quand vous verrez que vos appétits sont dans les ténèbres, que vos affections sont dans la sécheresse et la contrainte, que vos puissances sont paralysées et incapables de tout exercice de la vie intérieure, ne vous en affligez pas. Au contraire, regardez cet état comme une heureuse fortune. Dieu, en effet, vous délivre peu à peu de vous-même. Il vous enlève des mains vos possessions. Malgré le bon emploi que vous en auriez fait, vous n'agiriez pas aussi bien, aussi parfaitement et sûrement, à cause de leur impureté et de leur bassesse, que maintenant. Dieu, en effet, vous prend par la main ; c'est lui qui vous conduit comme on conduit un aveugle dans les ténèbres vers un but et par un chemin que vous ignorez, et où jamais, malgré tout le secours que vous auraient prêté vos yeux et vos pieds, vous n'auriez réussi à marcher » (3).
Pour suivre docilement la règle de la raison chrétienne, il nous faut assurément nous disposer du mieux que nous le pouvons, par la pratique de toutes les vertus morales, acquises et infuses. Il est cependant manifeste que, pour ne pas nous opposer à la motion et à la direction imprimées par l’Esprit Saint, et au contraire pour les suivre, d’autres dispositions (habitus) nous sont nécessaires, ainsi que nous en avertit saint Thomas (4), très supérieurs aux vertus et plus adaptés, qui sont les dons de l’Esprit Saint lui-même. Ceux-ci nous disposent à les recevoir, ils nous habilitent à seconder et à suivre les impulsions de l’Esprit de Dieu, ses inspirations et ses instincts (5).
Que la simple raison chrétienne, bien qu'elle puisse souvent, et même ordinairement, nous diriger, ne soit cependant pas suffisante pour nous conduire en toute sécurité au port de la vie éternelle, le saint Docteur le prouve (ibid., a. 2).
En cette vie, en effet, nous ne possédons pas parfaitement nos différents principes d’opération. Nous avons besoin d’une motion et d’une direction supérieures qui suppléent nos déficiences et nous portent avec sécurité à l’heureuse fin que la foi nous propose obscurément.
⇤ ⇥
__________
(1) « [Ce papillon blanc] méprise désormais les oeuvres qu'il accomplissait lorsqu'il était encore un petit ver à soie (…). il lui est poussé des ailes : comment se contenterait-il, maintenant qu'il peut voler, d'aller pas à pas ? Tout ce qu'il peut faire pour Dieu lui semble peu de chose, si vif est son désir. Il ne prise pas beaucoup ce qu'ont souffert les Saints, connaissant maintenant d'expérience l'aide que peut donner le Seigneur et qu'il transforme l'âme dont on ne reconnaît plus rien, pas même son visage. Car de faible pour faire pénitence, la voici forte ; son attachement aux parents, aux amis, à ses biens (…), ne l'entrave plus, il lui pèse même de se contraindre à ce qu'elle est obligée de faire sous peine d'offenser Dieu. Tout la fatigue, depuis qu'elle a la preuve que les créatures ne peuvent lui donner le vrai repos. (…) Il ne faut donc pas s'étonner si ce petit papillon cherche à nouveau où se poser, tant il se découvre étranger aux choses de cette terre. Où donc ira-t-il, le pauvret ? (…) Ô Seigneur ! Que de nouvelles épreuves commencent pour cette âme ! Qui l'eût cru, après une si haute faveur ? A la fin des fins, d'une manière ou d'une autre, nous devons porter la croix tant que nous vivons. Si quelqu'un disait qu'une fois arrivé là il n'a plus vécu que dans le repos et les régals, je dirais, moi, que jamais il n'y est parvenu (…). Ô grandeur de Dieu ! Il y a bien peu d'années, peut-être même bien peu de jours, cette âme ne pensait qu'à elle. Qui donc l'a jetée dans de si pénibles soucis ? » (Sainte Thérèse d’Avila, Le Château intérieur, Ve Demeure, chap. 2, n° 9).
(2) « L’âme transformée en Jésus-Christ, observe le dévôt P. Surin, devient une créature tout à fait nouvelle, semblable à un homme ressuscité, avec de nouveaux instincts et de nouveaux mouvements, et dont les facultés ont été réhabilitées. Dieu inonde toutes ses puissances, même les inférieures, en les remplissant totalement de ses dons, de telle sorte que le corps lui-même est comme embaumé, et que tout l’homme mène une vie céleste. L’imagination est emplie d’impressions surnaturelles ; l’appétit est empli des impulsions divines que l’Esprit Saint lui communique ; l’entendement irradie de ses lumières ; la mémoire est occupée des choses divines et la volonté est comme un brasier toujours enflammé qui rend le corps lui-même agile et docile à l’Esprit. Tel est l’état de l’homme dans cette transformation divine. Ses vertus sont à présent très différentes. La foi est élevée, l’espérance vivifiée et la charité ardente. Les vertus morales sont divinisées, et en lui il n’y a plus rien de terrestre » (Catéchisme spirituel, I, chap. 7).
(3) Saint Jean de la Croix, La nuit obscure, 2,16.
(4) Somme de théologie, Ia IIae, q. 68 a. 1.
(5) « Les dons (…) sont des perfections qui disposent l'homme à bien suivre l'impulsion du Saint Esprit » (Somme de théologie, loc. cit., a. 3).
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
« Vous qui êtes ici, dites un Pater à mon profit.
Pour moi ferez beaucoup et vous n’y perdrez mie. »
INFORMATIONS DIVERSES