BIOGRAPHIE DU P. ARINTERO
Introduction - Un saint dans l'Histoire sainte (1)
DE GRANDES ET MERVEILLEUSES ACTIONS (1)
Lorsqu’Hérodote, près de cinq cents ans avant notre ère chrétienne, entreprit d’écrire son Histoire pour en faire ultérieurement lecture à différentes assemblées grecques, à Olympie ou à Corinthe, il indiqua que son propos était d’abord de « préserver de l’oubli les actions des hommes, de célébrer les grandes et merveilleuses actions des Grecs et des Barbares » (L. l).
L’hagiographie chrétienne, au fond, n’a pas d’autre dessein : transmettre aux hommes, aux chrétiens en particulier, la mémoire à ne pas perdre des grands et beaux exploits des meilleurs d’entre-eux. Cette préoccupation est inscrite au principe même de l’histoire du salut. « La sainte Écriture – relevait saint Pie X en parlant d’Abel – rappelle la parole divine selon laquelle les hommes se souviendront du juste à jamais, de telle sorte que même mort, celui-ci continue de parler ». L’Église, ajoutait-il, qui « conçoit, nourrit et éduque la noble famille des justes », « conserve précieusement le souvenir de la mémoire et de l’affection qu’elle éprouve pour les saints ». Employant une expression très proche de celle d’Hérodote, il évoquait alors les « glorieux exploits des saints » (2).
La transmission de la geste des saints s’opère par une multitude de moyens : les canonisations, la vénération des reliques, la prière d’intercession, l’inscription d’épitaphes, la dédicace d’églises, la célébration des fêtes, liturgiques ou non, le culte des images, les pèlerinages. Elle emprunte également ceux que lui offre la technique moderne, tels que celle du cinéma. Cependant, l’écriture est le moyen d’expression privilégié de l’hagiographie, comme l’indique son suffixe. En cela, elle utilise le même vecteur que celui de l’histoire d’Hérodote. Comme elle, également, elle est écrite pour être lue à autrui, en vue de son édification.
C’est ainsi que les « grandes et merveilleuses actions » des saints se sont très tôt diffusées, prenant la forme au VIIIe siècle de ce qui était alors appelé des légendes. N’entendons pas là des récits mythiques, par opposition aux récits historiques, scientifiques, reposant sur des données éprouvées par la critique. Il s’agissait, selon l’étymologie du terme, de récits qui devaient être lus, écrits en des textes qui, dès l’origine, « ont circulé dans toutes les langues, du Caucase au Portugal et de l’Éthiopie à l’Islande » (3). De fait, ils étaient lus à haute voix, en particulier dans les réfectoires des monastères et les chaires des églises.
Les mamans de tous les foyers chrétiens se sont toujours spontanément inscrites dans cette longue tradition auprès de leurs enfants émerveillés, soit en leur lisant un texte, soit en puisant dans leurs mémoires les récits inoubliés qui leur avaient été transmis (4).
Cependant, Hérodote ne nous dit pas pourquoi il convient de garder la mémoire des actions des hommes, si ce n’est pour la célébrer. Sans doute entendait-il pourtant qu’elle devait nourrir, par l’exemplarité de la grandeur et du courage, un idéal politique et humain chez ceux qui en devenaient à leur tour héritiers et transmetteurs.
Il est rare aujourd’hui que des commémorations, c’est-à-dire des partages de mémoire, aient pour objet de tirer des leçons de sagesse des événements passés. Elles exaltent plus rarement encore des exemples dignes d’être suivis pour vivre à hauteur d’homme, comme s'il était définitivement acté que le citoyen moderne n'eût jamais plus à grandir. Le héros et le “super-héros” [le premier ne suffisant plus] qui envahissent ses écrans ne sont là que pour peupler son imaginaire, pour le distraire, et peut-être pour l’aider à rêver ce qu’il est invité à se résigner de n’être jamais.
Le héros authentique, en revanche, le saint authentique, ceux de la vie réelle, sont des figures aristocratiques qui inspirent plutôt sa défiance. Leur caractère même suppose en effet une référence, amoureuse ou non, à une norme transcendante et à un engagement sacrificiel. Or l’une et l’autre répugnent à “l’homme masse” archétype de ce temps. Ils répugnent à l’individu “consommateur”, aveugle à toute loi que ne dictent pas ses désirs et à tout idéal ne se proposant pas de l’installer toujours plus douillettement dans la médiocrité ordinaire et sécurisée qui le comble. Au saint, l'homme moderne préfère aujourd'hui le sportif (5).
L’hagiographie, en revanche, a essentiellement vocation à transmettre ce que l’on appelait jadis des exempla, c’est-à-dire des modèles de vie, qui n’étaient pas seulement à admirer mais, autant qu’il était possible, à imiter, chacun étant ainsi invité à « suivre sa pente en la montant ». Le mot exemplum, en latin, désigne l’échantillon. On pourrait dire : l’étalon, la mesure, la référence.
La réception sociale de la littérature hagiographique repose, en chrétienté, sur cette idée que le saint constitue bien, pour tous, ce que l’on appellerait en langage moderne le modèle même d’une vie réussie. Dans le texte précité, saint Pie X précisait que cet exemplum n’a pas seulement vocation à réconforter les chrétiens dans les tribulations du temps, mais aussi et surtout à les encourager à être imitateurs du Christ, accomplissement de l’homme parfait, héros et saint par antonomase (6).
Pour entrer cependant dans de telles vues, qu’elles soient celles d’Hérodote ou qu’elles soient celles du christianisme, il faut que le pas soit éclairé par une lumière qui la précède, et une belle lumière assurément.
Il fallait qu’Hérodote eût une grande idée de l’homme ou du moins du grec pour penser qu’il lui était nécessaire de vivre à hauteur des actions héroïques qu’il jugeait si nécessaire de sauver de l’oubli.
Il faut a fortiori avoir une très haute idée de l’homme et de ses destinées pour juger que pour vivre dignement il ait à vivre en saint. « Vivre sans vivre en saint, c’est vivre en insensé », disait l’Abbé de Rancé (1626-1700). C’était là, à prendre le mot « insensé » en son sens propre, une façon d’affirmer que, sans sainteté, il n’y a pas d’humanité vraie.
HISTOIRE SAINTE ET HISTOIRE DES SAINTS
Cependant – s’en étonnera-t-on ? – la comparaison entre Hérodote et le christianisme vient rapidement à s’essouffler, à cause, précisément, de la différence de nature et de rayonnement de la lumière qui les éclaire. À parler rigoureusement, le terme hagiographie ne désigne pas l’histoire écrite des saints. Il désigne l’histoire sainte elle-même en laquelle ils interviennent, et c’est ainsi que le terme était entendu au Moyen-Âge (7). L’histoire d’Hérodote parle aux cités grecques d’événements précis, des guerres menées entre grecs et barbares. L’histoire des saints parle aux chrétiens du combat mené par d’autres chrétiens pour entrer dans le Royaume des cieux. Parlant de Jacques de Voragine, l’auteur de la plus célèbre des “légendes”, la Légende dorée (milieu du XIIIe siècle), Stefano Mula a écrit qu’il s'agissait là « d’une œuvre historique, où l’histoire profane est soumise à l’histoire du salut, représentée non pas par une série d’épisodes fondamentaux, mais par les vies exemplaires des hommes et des femmes de Dieu » (8). ⇥
__________
(1) Ce texte est une version remaniée d’un article d’abord publié dans la revue “Les Cahiers de Saint-François”, Revue d’histoire et d’information, n°VII, printemps 2010, pp. 19-21.
(2) S. Pie X, Encycl. Editae saepe, sur saint Charles Borromée, 26 mai 1910, n°1. Le pape citait ici : Ps.111,7 ; Héb. 11,4 ; Pro. 10,7 ; Héb. 11,4.
(3) P. Yannopoulos, Patrimoine littéraire européen, 4a, Le Moyen-Âge de l’Oural à l’Atlantique, Éd. De Boeck Université, 1993, p. 10.
(4) « Depuis que j’ai l’usage de la raison - raconte ainsi Soeur Marie de la Sagesse - je revois ma mère me racontant, avant d’aller dormir, les prouesses de la “Pucelle” jusqu’à ce que mes yeux se ferment pour poursuivre en rêves le chapitre suivant. A l’époque, je ne pouvais guère faire la différence entre un conte et la réalité, pour moi toute son histoire était extraordinaire, plus du ciel que de la terre, au point que lorsque ma mère achevait son récit, je lui demandais aussitôt de recommencer, sans que je me lasse jamais d’écouter encore et encore la même chose » (Sr Marie de la Sagesse Sequeiros, S. J. M., Santa Juana de Arco, reino, virgen, mártir, Ed. Katejon, 2018, prólogo, p. 5).
(5) Dans un entretien accordé (sans date) au site littéraire espagnol Libro sobre libro, Robert Redeker relève en particulier : « Les sportifs remplacent les saints dans l’imaginaire collectif. Auparavant, la figure du saint avait un rôle pédagogique. A présent, ce rôle est joué par les sportifs. Ces derniers, il faut le reconnaître, ont des vertus de caractère. Ce sont d’excellents modèles de ce point de vue. Cependant, il promeuvent la consommation et eux-mêmes sont des produits de consommation pour l’imaginaire populaire. Par ailleurs, ils mettent en valeur l’ego, le “moi haïssable” critiqué par Pascal. Dit autrement : ils sont l’analogue des saints dans une société matérialiste réaffirmée en elle-même, sans ouverture ni transcendance, sans avoir la grandeur des saints, laquelle est la véritable grandeur humaine ». Cf. le beau livre de R. Redeker, Les sentinelles d'humanité : philosophie de l'héroïsme et de la sainteté, Ed. Desclée de Brouwer, 2020.
(6) Sr Marie de la Sagesse ajoute, dans l’ouvrage précité : « Le temps passa et mes rêves devinrent réalité : âgée seulement de 17 ans, je fis un pèlerinage dans chacune des villes que l’héroïne avait traversées (...). Ce fut une grâce imméritée qui marqua profondément ma jeunesse, dont Notre Seigneur sut tirer des biens infinis pour mon âme » (loc. cit.).
(7) M. van Uytfanghe, in Le Moyen-Âge et la Bible, sous la direction de P. Riche et G. Lobrichon, Éd. Beauchesne 1984, p. 449.
(8) "L’histoire des Lombards” in De la sainteté à l’hagiographie, études réunies par B. Fleith et F. Morenzoni, Éd. Droz, 2001, p. 95.
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
« Vous qui êtes ici, dites un Pater à mon profit.
Pour moi ferez beaucoup et vous n’y perdrez mie. »
INFORMATIONS DIVERSES