LA GRÂCE DE DIEU ET LA COMMUNICATION DE L'ESPRIT-SAINT (3 et fin)
Cette vie surnaturelle n’ôte rien à la nature, elle ne l’empêche pas de se développer pleinement, bien au contraire, elle la soigne, elle la complète et la perfectionne ; elle la restaure de la prostration dans laquelle elle se trouve, elle la conforte et rehausse ses énergies, en les dirigeant vers une fin incomparablement plus haute. Elle nous facilite le bien agir et nous porte à faire mieux, et pour de plus hautes raisons, les mêmes œuvres que la loi naturelle nous oblige à accomplir. En même temps, elle nous permet d’agir divinement, en produisant des fruits de vie éternelle conformes à notre destinée supérieure.
La grâce, par conséquent – contrairement à ce que pensent faussement la plupart des protestants – n’est pas une espèce de manteau qui nous donne l’apparence d’être revêtus de Jésus-Christ, en laissant au-dedans de nous toutes les taches du péché et toute la puanteur de la nature viciée. Elle n’est pas davantage – comme certains d’entre-eux l’imaginent – la simple présence de l’Esprit-Saint, qui nous fait resplendir de sa divine sainteté et de sa justice, sans qu’elles soient nôtres réellement. Elle est, de notre côté, quelque chose d’intime, de substantiel et de personnel, qui est véritablement devenu nôtre, qui nous purifie et nous justifie, nous renouvelle, nous réforme, nous transforme, nous régénère et nous recrée, en nous rendant semblables à Dieu, comme ses fils, et, dans cette mesure, véritablement justes, non certes de la justice incommunicable qui est celle de Dieu même, attachée à son être, mais de la justice participée par laquelle nous-mêmes devenons justes, parce qu’Il nous a rendus tels (1).
Ainsi, de même que par la création nous avons reçu l’être naturel et la vie humaine, de même, par la régénération nous recevons l’être surnaturel et la nouvelle vie chrétienne, qui est vie divine. C’est pourquoi la justification est une sorte de création surajoutée – une recréation – qui nous donne un être nouveau, non plus humain, mais divin. Nous avons réellement été créés en Jésus-Christ pour vivre un autre genre de vie : « il nous a créés dans le Christ Jésus, en vue de la réalisation d’œuvres bonnes qu’il a préparées d’avance pour que nous les pratiquions » (Eph. 2,10). Or il est clair que le terme de création fait référence au fond de l’être substantiel, et non pas seulement à des accidents, et moins encore à des apparences.
Nous avons donc reçu avec la grâce une nouvelle réalité, encore plus que substantielle, supersubstantielle, qui dans l’ordre de l’être nous élève bien plus haut que ne pourrait le faire l’infusion d’une âme dans un cadavre, c'est-à-dire dans un corps inerte et minéralisé.
Sans la grâce, nous étions, par rapport à la vie divine, comme des cadavres malodorants ou comme des minéraux inertes ; mais par elle, nous sommes conduits de la mort à la vie, du royaume des ténèbres à la divine lumière. Nous étions des pierres brutes et grossières et – et ce qui est bien pire, brisées ou déformées – de la carrière d’Adam, dont le Christ a su susciter de véritables enfants de Dieu : « des pierres que voici, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham » (Mt 3,9 ; L. 3,8).
Par le fait même que la grâce nous régénère, elle nous fait être fils de celui qui, par elle, nous adopte. Par elle, nous recevons cette vie nouvelle, qui n’est pas humaine mais divine, de soi éternelle. Elle constitue formellement le nouvel être qui est le nôtre, et nous fait être ce que nous sommes en Jésus-Christ : « Par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis » (1 Cor. 15,10). Le vrai chrétien peut dire qu’il est moins un fils de l’ancien Adam que du nouveau. Car il n’est plus configuré à l’image de l’homme terrestre, mais à celle de l’homme céleste, parce qu’il a été rénové et transformé (2 Cor. 3,18). Régénérés, nous renaissons pour Dieu à une vie nouvelle, dans laquelle tout se renouvelle et se reforme (Apoc. 21,5 ; 2 Cor. 5,17). C’est à cette fin que nous recevons l’Esprit de renouveau et de sanctification, pour « nous renouveler selon l’esprit, en nous dépouillant du vieil homme ». Car nous sommes déjà une créature nouvelle, ou pour le moins le germe ou le rudiment d’une créature nouvelle : initium aliquod creaturae eius. De même que la vie rationnelle nous donne un être plus essentiel ou plus substantiel encore que l’être sensitif, sans détruire ce dernier, mais en le subordonnant à lui ; de même, la vie de l’Esprit Saint nous donne un être aussi supérieur à l’être rationnel que le divin l’est à l’humain. De cette manière, elle nous recrée, nous régénère et nous déifie.
Cependant, comme Dieu est infiniment élevé au-dessus de notre humble nature – et même au-dessus de toute nature possible – pour nous déifier, nous rendre semblables à Lui et faire de nous véritablement ses fils, il doit opérer en notre être une rénovation et une transformation très profondes.
Cette forme interne et propre, qui nous fait être – et pas seulement paraître – justes et déiformes, c’est ce que, à défaut d’autre mot, l’on appelle habituellement quoiqu’improprement la grâce ou la justice créée, pour la distinguer de celle par laquelle Il est Juste en Lui-même, et qui nous serait seulement imputée mais ne nous serait pas communiquée. Cette terminologie, toutefois, bien qu’elle soit parfois utile pour éviter les errements du protestantisme et certains écueils panthéistes, est très souvent l’occasion, prise de manière trop rigoureuse, de grandes équivoques qui ramènent au niveau de notre pauvre capacité le don sans prix de Dieu. Si cette grâce était proprement créée, elle entrerait nécessairement dans les conditions essentielles de toute créature : elle ferait partie le la nature elle-même, c'est-à-dire de la création naturelle, et ainsi elle pourrait difficilement la déifier. En recevant cette nouvelle forme, nous atteindrions le sommet de la participation à une nature supérieure à la nôtre, à une autre créature, qui ne serait cependant pas cette ineffable participation de la vie divine elle-même. Elle n’est donc pas créée, c’est nous qui le sommes selon elle, car, en la recevant, nous recevons un être nouveau nous sommes créés en Jésus-Christ, demeurant en Lui, rendus déiformes, et transformés et rénovés par l’Esprit Saint.
Ce qui est créé peut être anéanti ou détruit. La grâce, comme vie éternelle qu’elle est, ne peut pas être détruite, pas plus que la charité, qui est la propriété qui l’accompagne toujours, laquelle, comme lien de perfection, « non evacuatur », à la différence de la foi et de l’espérance, lesquelles de soi imparfaites, disparaissent dans la gloire. Pour cette raison, ce ne sont pas des propriétés inséparables de la grâce, étant les seules vertus infuses qui peuvent subsister sans elle, l’Esprit Saint suscitant alors en nous par elles des actes semi-vitaux, bien que nous n’ayons pas la vie, pour nous disposer ainsi à la recevoir : pour accéder à Dieu, il faut croire. Accedentem ad Deum oportet credere. ❧
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(1) « Si l’Esprit Saint est la véritable âme qui donne vie et unité au Corps mystique de l’Eglise, et anime et dirige de concert tous les membres qui vivent en elle, la grâce est forme interne et propre de chacun de ces éléments qui constituent ce corps vivant, dans lequel ils sont intimement transfigurés selon le degré de communication et d’animation de l’Esprit divin, lequel, comme dit saint Thomas, est « l’ultime perfection et le principe de tout le Corps mystique » (III. Sent. d. 13, q. 2 a. 2).
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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