NOTRE DÉIFICATION D'APRÈS LES PÈRES DE L'ÉGLISE (1)
Ce texte est tiré de l’ouvrage Evolución mística, BAC Madrid 1968, pp. 28-39.
Le chrétien fait partie d'une race d'hommes nouvelle et céleste, d'une lignée divine : divinum genus. C'est un homme divinisé, fils de Dieu le Père, incorporé au Verbe fait homme, animé du Saint-Esprit. Sa vie et sa conversation doivent être célestes et divines (1). « Si Dieu s'est humilié jusqu'à se faire homme, dit saint Augustin, ce fut pour exalter les hommes jusqu'à en faire des dieux » (2). Et il le fait « en les déifiant par sa grâce ; car, en les justifiant, il les déifie, en en faisant des fils de Dieu, et par là même des dieux » (3).
« Reconnais donc, ô chrétien, ta dignité ! », s’exclame saint Léon, et « puisque tu es rendu participant de la nature divine, ne retourne pas à ton ancienne bassesse par une manière de vivre dégénérée. Souviens-toi de quel Chef et de quel Corps tu es membre ! » (4).
Ces idées relatives à la déification étaient si courantes dans les premiers siècles que les hérétiques eux-mêmes ne s’engageaient pas à les nier. Ainsi, les saints Pères en tirèrent un parti admirable pour prouver, contre les ariens et les macédoniens la divinité du Fils et de l’Esprit-Saint. Les Écritures disaient-ils, les présentent comme étant eux-mêmes les vivificateurs, les sanctificateurs et les divinisateurs des âmes qu'ils habitent et auxquelles ils se communiquent, en imprimant en elles l'image de Dieu et les rendant participants de la nature divine elle-même. Or Dieu seul, qui est Vie, Sainteté et Déité par nature, peut, par lui-même, par sa propre communication, vivifier, sanctifier et déifier.
Pour habiter dans une âme, la vivifier et la réformer, il est nécessaire de la pénétrer substantiellement ; or ceci est propre et exclusif à Dieu (5). Aucune créature, observe Didyme, ne peut entrer dans l'essence même de l'âme ; les sciences et les vertus qui sont en elle ne sont pas substantielles ; ce sont des accidents qui perfectionnent ses puissances. L'Esprit-Saint, en revanche, habite substantiellement dans l'âme, avec le Père et le Fils (6).
C'est le Saint-Esprit, dit saint Cyrille d'Alexandrie, qui imprime en nous l'image de Dieu. S'il n'était qu'un simple dispensateur de la grâce, nous ne recevrions que l'image de la grâce et non l'image de Dieu (7). Mais il n’en est pas ainsi : il est lui-même le sceau qui imprime en nous cette image divine, et qui nous réforme en nous faisant participer de la nature divine elle-même (8). Ce sceau divin, ou ce caractère qui nous est imprimé, dit saint Basile, est vivant ; il nous modèle du dehors et du dedans, en pénétrant jusqu'au plus intime de notre cœur et de notre âme. Voilà comment l’Esprit Saint nous réforme et fait de nous de vivantes images de Dieu (9). C’est ainsi que nous recevons son onction, en même temps qu’il nous scelle, et qu’il établit en nous le gage vivant de l'héritage céleste, selon les mots de l’Apôtre (2 Cor. 1, 21-22).
Baume divin, l'Esprit-Saint par son onction, nous compénètre et nous transforme (spiritualis unctio), et nous fait exhaler la bonne odeur du Christ : « Nous sommes la bonne odeur du Christ » (2 Cor. 2, 15). Ainsi, ce que nous recevons, ce n’est pas seulement le parfum du baume, mais la substance divine elle-même (10).
L’Esprit Saint est un feu qui nous pénètre jusqu'au plus intime. Sans détruire notre nature, il l’enflamme et lui donne toutes les propriétés du feu (11). Il est une lumière divine qui, éclairant les âmes, les rend lumineuses et resplendissantes, radiantes de grâce et de charité, comme de vrais soleils divins ; car il les rend semblables à Dieu lui-même et, bien plus plus, il en fait des dieux (12). C’est un doux hôte – dulcis hospes animae – qui vient converser familièrement avec nous, nous réjouir de sa présence, nous consoler dans nos travaux, nous encourager dans nos difficultés, nous conseiller et nous incliner au bien, nous enrichir de ses dons précieux et de ses fruits. Habitant en nous, il nous rend saints et fait de nous des temples vivants de Dieu. Et en nous traitant ainsi familièrement, il fait de nous ses amis et par voie de conséquence, d’une certaine manière (13), ses égaux, dignes du nom de dieux (14). Or si nous sommes des temples de Dieu et que Dieu même habite en nous, parce que l’Esprit Saint demeure en nous, comment peut-il être moins que Dieu ? soulignent saint Épiphane et saint Cyrille (15).
« il est nécessaire qu’il soit Dieu, dit saint Grégoire de Nazianze, pour qu’il puisse nous déifier » (16).
« On ne peut pas concevoir, en effet – observe saint Cyrille – qu’une créature puisse déifier ; ceci est le propre de Dieu seul qui, en communiquant son Esprit aux âmes des justes, les rend conformes au Fils naturel et, dans cette mesure, dignes d’être appelés fils et même dieux (...). Car c’est l’Esprit qui nous unit à Dieu et, en nous étant communiqué, il nous rend participant de la nature divine (...). Si nous n’avons pas l’Esprit Saint, nous ne pouvons en aucune manière être fils de Dieu. Comment donc pourrions-nous l’être et participer de la vie divine si Dieu n’était pas en nous et si nous ne demeurions pas unis à Lui par le seul fait de recevoir son Esprit ? » - Pour nous déifier, en effet, il ne suffit pas qu’il y ait conformité de volontés ; il faut qu’il y ait une conformité de nature, et nous l’aurons si nous nous revêtons du Fils, dont l’Esprit Saint imprime en nous l’image vivante (17).
Revêtus de Jésus-Christ et faits à son image, nous formons avec Lui une véritable société (1 Cor. I, 9). Nous sommes ses amis, initiés à ses secrets divins (Jean, 15,15). Nous sommes ses frères (Jean, 20,17) et, plus encore, ses membres, si étroite est l'union de cette divine société ! C'est ainsi que nous pouvons devenir enfants de Dieu (Jean, 1,12) et dieux par participation. Celui qui nous donne ce pouvoir si sublime doit être Dieu lui-même en personne, qui, s'abaissant jusqu'à nous, nous associe à sa vie divine, et de la condition servile de pures créatures nous élève à l'incomparable dignité de dieux, et nous permet d'appeler à pleine voix l'Éternel et le Tout-Puissant devant lequel tremblent les cieux, non plus du nom terrible de Seigneur, mais du très doux nom de Père (18).
« Ce que les plus nobles créatures n'auraient jamais pu rêver, s'écrie saint Pierre Chrysologue, ce qui remplirait d'étonnement et d'admiration les plus hautes vertus célestes, nous le répétons tous les jours avec confiance : Notre Père qui êtes aux cieux ! Commerce admirable entre le Créateur et la créature : il se fait notre égal pour que nous arrivions à être ses égaux, en un certain sens (19). Qui jamais aurait pu soupçonner un tel excès d'amour ? Dieu se faisant homme pour que l’homme devienne Dieu, le Seigneur se rendant esclave pour que l'esclave devienne son fils – établissant ainsi entre la Divinité et l'humanité une éternelle et ineffable parenté ! Certes, on ne sait qu'admirer le plus, de Dieu s'abaissant jusqu'à notre servitude, ou de Dieu nous élevant jusqu'à sa dignité » (Serm. 72). ⇢
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(1) « Que celui qui croit et confesse qu’il est fils d’un tel Père, qu’il réponde par sa vie du genre et des mœurs de ce Père, et qu’en pensée et en acte il affirme ce qu’il a reçu de céleste par la nature » (s. Pierre Chrysologue, sermon 72).
(2) Sermon 166.
(3) « Dieu dit des hommes qu’ils sont des dieux, déifiés par sa grâce (...). En effet, celui qu’il justifie, il le déifie : car en justifiant, Dieu fait des fils (...). Si nous sommes faits fils de Dieu, alors nous sommes faits dieux » (s. Augustin, in Psaume 49,2).
(4) Sermon 20, 1er sur la Nativité.
(5) Cf. s. Thomas d’Aquin, Somme contre les gentils, L. IV, c. 17 ; Somme de théologie, I, q. 43, a. 3 ; III, q. 64, a. 1.
(6) De Spiritu Sancto, n° 25.
(7) De Trinitate, dialogue 7.
(8) « En lui (...) vous vous avez cru et vous avez été marqués du sceau de l’Esprit promis, l’Esprit Saint, acompte de notre héritage » (Éphés. 1, 13). Cf. s. Cyrille d’Alexandrie, Thesaurus, ass. 34.
(9) « Quomodo ad Dei similitudincm ascendat creatura, nisi divini characteris sit particeps ? Divinus porro character non talis est, cujusmodi est humanus, sed vivens et vere existens imago, imaginis effectrix, qua omnia quae participant, imagines Dei constituuntur » (s. Basile, 1. 5, Contra Eunomius).
(10) S. Cyrille d’Alexandrie, 1.11 in Joann, c. 2. - et s. Augustin : « Il s'écoule dans ses fidèles non plus seulement par la grâce de sa visite et de son opération, mais par la présence de sa majesté ; ce n'est pas seulement l'odeur du baume qui se verse, mais la substance même du baume sacré » (sermon 185 de Temp.).
(11) S. Cyrille de Jérusalem, Cath., 17 ; S. Bas., op. cit., l. 3.
(12) « Comme les objets nets et transparents, lorsqu'un rayon les frappe, deviennent eux-mêmes resplendissants et tirent d'eux-mêmes une autre lumière ; de même les âmes qui portent l'Esprit, illuminées par l'Esprit, deviennent elles-mêmes spirituelles et renvoient la grâce sur les autres. De là viennent la prévision de l'avenir, l'intelligence des mystères, la compréhension des choses cachées, la distribution des dons spirituels, la citoyenneté céleste, la danse avec les anges, la joie sans fin, la demeure en Dieu, la ressemblance avec Dieu et le comble de ce que l'on peut désirer : devenir Dieu » (s. Basile, Traité sur l’Esprit-Saint, c. 9, n. 23).
(13) « Amicitia aut pares invenit aut facit » (Publilius Syrius) : l’amitié nous trouve ou nous rend égaux.
(14) S. Cyrille d’Alexandrie : « Nous sommes appelés dieux non seulement parce que nous sommes élevés à la gloire surnaturelle, mais encore parce que Dieu, déjà, habite en nous » (In Ev. Joann., I, 9).
(15) Saint Épiphane, Haeres. 74, n. 13 ; s. Thomas d’Aquin, in 1 Cor. 3,16, lec. 3.
(16) Orat. 34 ; s. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia IIae, q. 112, a. 1.
(17) Traité sur la Trinité, dialogue 7.
(18) S. Cyrille, In Joan., I. 12, c. 15.
(19) « Ô commerce admirable ! Le Créateur du genre humain, prenant un corps et une âme, (...) nous a fait part de sa Déité » (Office de la purification de la B. V.) ; Cf. S. Athanase, Sermon 4 cont. Arian., et s. Augustin, Lettre 140 ad Honor. c. 4.
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Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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