NOTRE DÉIFICATION D'APRÈS LES PÈRES DE L'ÉGLISE (2)
« Autant qu’il soit possible d’y réfléchir, dit saint Jean Chrysostome, il paraît bien plus difficile de comprendre que Dieu se soit fait homme que de comprendre que l’homme soit devenu enfant de Dieu ; mais il ne s’est abaissé autant que pour nous grandir. Il est né selon la chair pour que nous, nous naissions dans l’Esprit ; il est né d’une femme pour faire de nous des enfants de Dieu (1). Il veut donc, ajoute saint Augustin, que nous nous conduisions comme tels puisqu'il veut faire de nous des dieux (2).
Ces admirables et inconcevables relations qu'il a plu à Dieu d'établir et de resserrer avec nous ne sont donc pas purement morales, mais très réelles ou ontologiques. Leur réalité est plus haute et plus riche que l'on ne pense, au-dessus même de tout ce que l'on peut dire ou penser. Les saints la sentent d'une certaine manière, mais ils ne trouvent pas de formules capables de traduire des pensées si élevées ; les expressions les plus fortes leur paraissent de pures ombres d'une si sublime réalité. Et pourtant, ils nous parlent sans cesse de la participation de la nature divine elle-même, de la transformation en Dieu, et de la déification ! (3).
Animés réellement de l'Esprit de Jésus, qui demeure en nous comme dans son temple vivant, vivants par Jésus comme Il vit par son Père (Jean, 6, 58), et rendus ainsi participants de la nature même de Dieu, nous sommes réellement enfants de Dieu, frères et cohéritiers de Jésus-Christ. Tout en nous animant par la grâce, ce même Esprit d'adoption que nous avons reçu nous purifie, nous réforme et nous perfectionne, en produisant en nous et avec nous l’œuvre de notre sanctification. Il nous fait ainsi vivre une vie divine, il nous déifie, en étant lui-même, « la vie de notre âme, comme l’âme est la vie du corps », selon les expressions de saint Basile et de saint Augustin, pour ne pas dire de tous les Pères (4).
« Pour eux, donc, écrit le P. Froget, l'Esprit-Saint est le grand don de Dieu, l'hôte intérieur qui, en se donnant lui-même, nous communique en même temps une participation de la nature divine, et fait de nous des enfants de Dieu, des êtres divins, des hommes spirituels et des saints. Aussi se plaisent-ils à le désigner comme l'Esprit sanctificateur, le principe de la vie céleste et divine. Quelques- uns vont même jusqu'à l'appeler la forme de notre sainteté, l'âme de notre âme, le lien qui nous unit au Père et au Fils, celui par qui ces divines Personnes habitent en nous. Une telle insistance à attribuer l’inhabitation par la grâce, de même que l’œuvre de notre sanctification et de notre filiation adoptive à la troisième Personne de l’auguste Trinité n’est-elle pas une preuve de ce que l’Esprit Saint a avec nos âmes des relations spéciales et une sorte d’union propre qui ne s’étend pas aux autres Personnes » (5).
C’est ce que supposent, en accord avec Pettau, Scheeben, Thomassin, Ramière et différents autres théologiens modernes. Ceux-ci, en se fondant sur la tradition patristique, soutiennent avec de solides arguments que cette œuvre n’est pas – comme l’affirme l’opinion courante – totalement commune aux trois Personnes divines, et seulement appropriée à l’Esprit Saint, mais qu’elle lui est véritablement propre ; que c’est lui qui s’unit directement aux âmes pour les vivifier et les sanctifier, et que si les deux autres Personnes demeurent et agissent en elles en même temps, c’est par concomitance, immanence ou circumincession, tandis que l’Esprit Saint se communique à elles d’une manière immédiate et personnelle, quoique non hypostatiquement (6).
Quoi qu’il en soit, il restera toujours que la si intéressante vérité de la déification est indiscutable et que tous les Pères, sans exception, enseignent ou reconnaissent la véritable filiation réelle, fondée sur une participation ontologique de la nature divine elle-même. « Patres igitur, dirons-nous avec Passaglia confirmant divinae naturae consortium, quod inter maxima et pretiosa promissa Petrus recenset, consortium esse non affectus dumtaxat atque morale, sed ontologicum et substantiae. Imo contendere non dubitaverim, ne unum quidem allegari posse veterem Ecclesiae doctorem, qui participationem devinae naturae intra fines limitesque unionis societatisque moralis circumscripserit » (7).
« Les grandes et précieuses promesses dont il s’agit ici, observe Bellamy (8), nous obligent à comprendre cette participation de la nature divine dans le sens le plus rigoureux, réserve faite de la différence essentielle existant entre Dieu et la créature (...). Il n’y a rien qui puisse donner au chrétien une idée plus haute de sa grandeur, ni qui puisse plus éloquemment lui rappeler ses devoirs ».
Malheureusement, comme le remarquait déjà Cornelius a Lapide (9), ces sublimes et consolantes doctrines sont très oubliées : « Il y en a peu qui connaissent le bienfait d'une si haute dignité ; moins encore qui l'apprécient comme ils le méritent. Chacun devrait demeurer, en soi-même, dans la vénération et l'admiration. Les docteurs et les prédicateurs devraient expliquer ce mystère au peuple afin que les fidèles sachent qu'ils sont les temples vivants de Dieu, qu’ils portent Dieu dans leur cœur et que par conséquent ils doivent vivre divinement avec Dieu par une conduite digne d'un tel Hôte ».
Cependant la voix unanime des Pères trouve des échos parmi les théologiens modernes. Au milieu de l'oubli universel, des fréquentes et, pourquoi ne pas le dire ? des honteuses atténuations, quelques voix autorisées se font entendre.
Surtout après les sages observations de Léon XIII sur la dévotion au Saint-Esprit, on est consolé de voir nombre d'écrivains reprendre le même langage animé, senti et vivant des Pères et des grands mystiques. C'est l'annonce d'une renaissance de ces doctrines fondamentales, qui sont l'âme et le souffle encourageant de la vie chrétienne.
Oui, le temps semble venu, écrivait déjà le P. Ramière (10), où le grand dogme de l'incorporation des chrétiens au Christ retrouvera dans l’enseignement commun des fidèles la même importance que celle que lui donne la doctrine apostolique ; où l’on ne tiendra plus pour accessoire un point sur lequel saint Paul fondait tous ses enseignements ; où l’on comprendra que cette union, représentée par le divin Sauveur sous la figure des sarments unis à la vigne, n’est pas une vaine métaphore, mais une réalité ; que, par le baptême, nous devenons réellement participants de la vie de Jésus-Christ ; que nous recevons en nous, non pas de manière figurée, mais en réalité, l’Esprit divin, qui est le principe de cette vie, et que, sans nous dépouiller de notre personnalité humaine, nous devenons membres d’un corps divin, en acquérant par le fait même des forces divines ».
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(1) S. Jean Chrysostome, in Math., hom. 2.
(2) « Hoc jubet Deus ut non simus homines (...). Deus enim deum te vult facere » (s. Augustin, serm. 166) ; « Factus est Deus homo, ut homo fieret Deus » (Sermon 13 de temp.).
(3) S. Cyrille d’Alexandrie (De Trinitate, Dial. IV et VII) déclare énergiquement qu’une simple union morale serait illusoire, et que réellement, en participant par l’Esprit Saint la nature divine, nous sommes dans le Fils comme Lui est dans le Père.
(4) S. Basile : « L’Esprit Saint ne se sépare pas de la vie qu’il communique aux âmes : ainsi, elles jouissent de la vie divine elle-même, qui est la sienne par nature » (Contre Eunome, L. 5) ; ailleurs, il va jusqu’à dire que l’Esprit Saint lui-même tient lieu de principe formel dans cette vie divine, l’âme étant ce que la capacité de voir est à la vue : « ce que la capacité de voir est pour l’œil sain, l’opération de l’Esprit l’est pour l’âme pure » (De Spiritu Sancto, c. 26, n. 61). S. Augustin va plus loin encore en affirmant que Dieu est formellement la vie de l’âme (Enarrat. In Ps. 70, sermon 2). « D’où vit ta chair ? », demande-t-il en une autre occasion. « De ton âme. D’où vit ton âme ? De ton Dieu. L’une et l’autre vit selon sa vie. La chair, en effet, n’est pas sa propre vie, c’est l’âme qui est la vie de la chair. Mais l’âme n’est pas non plus sa vie, c’est Dieu qui est la vie de l’âme » (Sermon 156, c. 6, n. 6). S. Macaire s'exprime presque dans les mêmes termes (De libertate mentis, 12).
(5) De l'habitation du Saint-Esprit dans les âmes justes, 2e édit., p. 197.
(6) Cf. Pettau, De Trinitate, L. 8, c. 6, n. 8 : « Les trois Personnes habitent dans l’âme juste. Néanmoins, seul l’Esprit Saint est comme une forme sanctifiante ». Ainsi paraît être le sentiment des auteurs précédemment cités, en particulier saint Augustin, saint Cyrille d’Alexandrie, saint Macaire et saint Basile. Cf. s. Basile, Contre Eunome, L. 5 ; s. Irénée, Contra Haeres. 5,6.
(7) Comment. 5 p. 43.
(8) Op. cit. , p. 166.
(9) In Os., 1,10.
(10) Espérances de l'Église, III, c. 4.
ARINTERIANA
Paris - France | 2023 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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