LA GRÂCE DE DIEU ET LA COMMUNICATION DE L'ESPRIT-SAINT (1)
Ce texte est tiré de l'ouvrage La evolución mística, BAC 1968, pp. 63 ss.
La grâce, disons-nous avec le Catéchisme, est « une réalité divine qui rend l’homme fils de Dieu et héritier du ciel ». Cela dit tout ce que l’on peut dire : ce qu’il faut, c’est bien comprendre les termes de cette admirable définition, sans perdre de vue qu’elle est davantage un pâle reflet de la réalité qu’une exagération osée.
La grâce sanctifiante nous donne véritablement un être divin, parce qu’elle nous déifie, et un être substantiel ou essentiel, et non pas accidentel – comme beaucoup le pensent – parce qu’elle nous transforme au plus profond de nous-mêmes. Elle nous fait être, réellement et non pas seulement en apparence, semblables à Dieu, comme ses fils véritables et non pas comme si nous en portions seulement le nom (1). Elle est véritablement la vie divine : Gratia Dei, vita æterna, et la vie est quelque chose de substantiel, d’essentiel. Ainsi, l’infusion d’une nouvelle manière de vivre nous élève dans l’ordre de l’être lui-même, et non pas seulement dans notre manière d’agir, et moins encore seulement dans notre apparence : vivre, pour les vivants, dit saint Thomas, c’est leur être même.
Si la grâce peut être dite accidentelle par rapport à l’homme, parce qu’elle peut s’unir à lui ou le quitter sans qu’il cesse d’être un homme ; en revanche, par rapport au bon chrétien, à l’homme divin, elle est si essentielle que, sans elle, il est mort et réduit à la terre du vieil Adam. Car c’est elle qui le fait être fils de Dieu et membre de Jésus-Christ.
La grâce, par conséquent, ne peut pas être en soi un simple accident, parce que les accidents, bien qu’ils nous différencient beaucoup, laissent subsister le même être, et c’est pourquoi ils peuvent varier dans un même sujet. Elle ne peut pas non plus être considérée comme une simple propriété, parce que les propriétés dimanent de l’être, et le supposent. Elles lui sont inamissibles, elles le caractérisent, mais elles ne le constituent pas. Par conséquent, selon notre manière humaine de considérer les choses, la vie de la grâce appartient nécessairement à l’ordre substantiel, et elle a pour propriétés la charité, ainsi que les autres vertus et habitus qui l’accompagnent toujours et qui disparaissent avec elle. Ces propriétés qui dimanent d’elle – et que nous recevons donc avec elle comme dans un germe – constituent les puissances opératives de la grâce elle-même. Les véritables accidents, dans cet ordre, sont tous les aspects changeants, tous les influx transitoires et toutes les péripéties de la vie surnaturelle.
C’est parce qu’elle est quelque chose de substantiel et qu’elle nous élève dans l’ordre de l’être, que nous recevons la grâce, ainsi que l’enseigne saint Thomas, dans l’essence même, ou la substance de l’âme qu’elle surélève, et non pas seulement dans ses puissances.
Dans ces dernières, nous recevons seulement les vertus et les énergies opératives qui les corroborent et les transforment, en les ordonnant à la fin surnaturelle, et en les rendant capables de réaliser des œuvres divines. Qu’elle soit ainsi reçue dans l’essence de l’âme, pour la déifier, c’est ce qui est aujourd’hui généralement admis. Gilles de Rome – qui est l’un des meilleurs disciples du Docteur Angélique – l’a déjà prouvé par de nombreuses et irrécusables raisons.
« Comment se réalise cette déification – se demande Froget ? De quelle manière merveilleuse cette inoculation de la vie divine se produit-elle ? Ordinairement par le baptême (2), qui constitue un véritable engendrement qui s’achève par une naissance réelle. Ce nouvel engendrement dont parlent tant de fois les saintes Ecritures, cette seconde naissance tant de fois célébrée par les Pères et sans cesse rappelée dans la liturgie : un engendrement incomparablement supérieur au premier car, à la différence de ce dernier, au lieu d’une vie naturelle et humaine, il nous transmet une vie surnaturelle et divine, naissance admirable qui fait de chacun de nous cet homme nouveau dont parle l’Apôtre, “créé selon Dieu dans la véritable justice et la sainteté” (Eph. 4,24) ; génération totalement spirituelle, et cependant réelle, dont le principe n’est pas la chair, ni le sang ni la volonté de l’homme (Jn 1,13), mais le libre vouloir de Dieu (Jac. 1,18) ; naissance mystérieuse qui provient non d’une semence corruptible, mais d’une semence incorruptible par la parole de Dieu (1 P. 1,23) ; une génération et une naissance aussi indispensables pour vivre la vie de la grâce que le sont la génération et la naissance pour la vie naturelle. Car la Vérité même nous le dit : “celui qui ne renaît pas de l’eau et de l’Esprit Saint ne peut pas entrer dans le Royaume de Dieu. Ce qui naît de la chair est chair, et ce qui naît de l’Esprit est esprit” (Jn 3, 5-6). Or, quelle est la nature de cet élément divin et régénérateur que le baptême dépose dans nos âmes et qui nous rend déiformes ? En quoi consiste ce principe radical de vie surnaturelle qu’un sacrement nous communique et que d’autres sont destinés à à maintenir, à développer et à ressusciter si nous avons le malheur de le perdre ? Et, compte-tenu de ce que ce don précieux, cause formelle de notre justification et de notre déification, est la grâce sanctifiante elle-même, qu’est-ce que cette grâce ? ».
Telle est la grande question que notre pauvre raison ne pourra jamais résoudre, et que l’on ne peut apprécier correctement qu’en la contemplant et en l’admirant à travers les symboles sacrés de la Révélation et des sentences sublimes divinement inspirées ou consacrées par l’Eglise. La grâce sanctifiante est vie éternelle en Jésus-Christ… elle est également le don de Dieu, l’eau vive qui apaise toute soif, et qui devient source de vie et d’énergies divines dans les âmes. « C’est ce que Jésus a dit de l’Esprit qu’allaient recevoir ses croyants » (Jn 7, 37-39). Ainsi, c’est cet Esprit divin qui, en nous animant, et en quelque sorte en nous informant, nous fait vivre divinement par la grâce de sa propre communication et par la communication de sa grâce.
Cette grâce est communiquée en elle-même, subjectivement et intrinsèquement. Selon l’expression du Concile de Trente, elle constitue cette « justice de Dieu, non pas celle par laquelle il est juste lui-même mais celle par laquelle il nous justifie, c'est-à-dire celle par laquelle nous sommes renouvelés en nos âmes ; de sorte que nous ne sommes pas seulement réputés justes, mais que nous puissions véritablement être appelés justes, et l’être vraiment » (Sess. 6, Chap. 7). La grâce est ainsi comme un « sceau divin » imprimé en nous, une onction qui nous pénètre, nous adoucit, nous embellit et nous sanctifie, nous emplit de parfums, nous fait exhaler la bonne odeur de Jésus-Christ et nous rend agréables à Dieu. En somme, elle est la transformation ou la rénovation intérieure qui se produit dans la nature même de notre âme par la communication, l’animation ou la présence vivificatrice de l’Esprit sanctifiant (3).
Cette grâce excède infiniment toute faculté créée et toutes les exigences naturelles de n’importe quelle créature, si excellente soit-elle, par le fait même qu’elle est une participation de la vie intime, de la sainteté et de la justice divines (4). Cependant, pour passer de la simple vie humaine à une vie tellement supérieure, nous avons besoin d’être animés par un nouveau principe vital – d’ordre transcendant – qui nous donne un nouvel être substantiel, comme une seconde nature, avec ses facultés ou puissances respectives pour pouvoir vivre et agir divinement et produire des fruits de vie éternelle. ⇢
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(1) « La grâce, écrit le P. de Grenade (Guide des pêcheurs, L. 1, c. 14) a cette vertu merveilleuse de transformer l’homme en Dieu ; de telle sorte que, sans cesser d’être homme, il participe à sa manière les vertus et la pureté de Dieu ».
(2) Note du traducteur : La grâce sanctifiante est communiquée ordinairement par le sacrement de baptême, qui fait appartenir visiblement à l'Église. Mais elle peut être reçue extraordinairement dans des circonstances particulières qui font appartenir invisiblement à l’Eglise. Le Catéchisme de l’Eglise catholique indique : « Le Seigneur lui-même affirme que le Baptême est nécessaire pour le salut (cf. Jn 3.5). (...) Depuis toujours, l’Église garde [cependant] la ferme conviction que ceux qui subissent la mort en raison de la foi, sans avoir reçu le Baptême, sont baptisés par leur mort pour et avec le Christ. Ce Baptême du sang, comme le désir du Baptême, porte les fruits du Baptême, sans être sacrement. Pour les catéchumènes qui meurent avant leur Baptême, leur désir explicite de le recevoir uni à la repentance de leurs péchés et à la charité, leur assure le salut qu’ils n’ont pas pu recevoir par le sacrement. (...) Tout homme qui, ignorant l’Évangile du Christ et son Église, cherche la vérité et fait la volonté de Dieu selon qu’il la connaît, peut être sauvé. On peut supposer que de telles personnes auraient désiré explicitement le Baptême si elles en avaient connu la nécessité. Quant aux enfants morts sans Baptême, l’Église ne peut que les confier à la miséricorde de Dieu, comme elle le fait dans le rite des funérailles pour eux. En effet, la grande miséricorde de Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés (cf. 1 Tm 2, 4), et la tendresse de Jésus envers les enfants, qui lui a fait dire : “Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas” (Mc 10, 14), nous permettent d’espérer qu’il y ait un chemin de salut pour les enfants morts sans baptême. D’autant plus pressant est aussi l’appel de l’Église à ne pas empêcher les petits enfants de venir au Christ par le don du saint Baptême » (nn. 1257 à 1261).
(3) Cf. saint Thomas, Somme de théologie, IIIa, q. 7, a. 13.
(4) « (…) le don de la grâce excède toute faculté naturelle créée, n'étant autre chose qu’une certaine participation de la nature divine qui transcende toute autre nature. (…) Il est donc nécessaire que Dieu seul déifie, communiquant en partage la nature divine (…) » (Somme de théologie, Ia IIæ, q. 112, a. 1c).
ARINTERIANA
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Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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