QU'EST-CE QUE LA VIE MYSTIQUE ?
Mystique veut dire caché (1). La vie mystique, c’est la mystérieuse vie de la grâce de Jésus-Christ dans les âmes fidèles qui, en mourant à elles-mêmes, vivent avec Lui cachées en Dieu (Col. 3,3). Plus proprement : c’est la vie intime qu’expérimentent les âmes justes qui, en quelque sorte animées et possédées par l’Esprit de Jésus-Christ, reçoivent toujours plus et sentent parfois clairement son influence divine, savoureuse et douloureuse, et qui croissent et progressent par elle, en union et en conformité avec celui qui est leur Tête, jusqu’à être transformées en Lui.
Par évolution mystique, il faut entendre tout le processus de formation, de développement et d’expansion de cette vie prodigieuse, « jusqu’à ce que se forme le Christ en nous » (Gal. 4,19), et que « nous nous transformions en son image divine » (2 Cor. 3,18).
Cette vie peut être vécue inconsciemment, comme un enfant vit la vie rationnelle ou proprement humaine. C’est ainsi que la vivent les commençants et, en général, tous ceux que l’on appelle simplement les ascètes, c'est-à-dire tous ceux qui qui avancent dans la perfection par les « voies ordinaires » de la considération laborieuse des divins mystères, de la mortification des passions et par l’exercice méthodique des vertus et des pratiques pieuses.
Elle peut cependant être également vécue consciemment, avec une certaine expérience intime des mystérieuses touches et des influences divines ainsi que de la présence réelle et vivifiante de l’Esprit-Saint. C’est ainsi que la vivent la plupart des âmes plus avancées qui sont déjà parvenues à un exercice parfait des vertus, ou d’autres personnes privilégiées que Dieu a choisies librement pour les conduire plus rapidement, comme en les portant dans ses bras, par les voies extraordinaires de la contemplation infuse.
Les âmes qui vivent ainsi plus ou moins consciemment de la vie divine peuvent être dites mystiques ou contemplatives. Mystiques, à cause de l’expérience intime qu’elles ont des mystères cachés de Dieu ; contemplatives, parce que leur façon habituelle de prier est cette contemplation que Dieu lui-même infuse à ceux qu’il veut, comme il veut et quand il veut, sans qu’il dépende du génie humain de l’atteindre, de la perfectionner ou même de la prolonger. Alors que la façon habituelle de prier des ascètes est la méditation discursive qui, par la grâce ordinaire qui n’est refusée à personne, peut être atteinte et perfectionnée par tous, jusqu’à ce qu’elle tourne en ce que l’on appelle l’oraison de simplicité. Celle-ci est déjà comme une sorte de contemplation, moitié infuse et moitié acquise. Elle est ordinairement accompagnée d’une certaine présence amoureuse de Dieu, causée par un influx particulier de l’Esprit Consolateur, pour réaliser la transition graduelle entre l’état ascétique et l’état mystique.
La science qui enseigne ce qu’on appelle les chemins ordinaires – c'est-à-dire les rudiments ou les premiers degrés – de la perfection chrétienne et, très particulièrement, la manière de bien faire la méditation pour acquérir les vertus et déraciner les vices et s’exercer dans toutes les pratiques de la vie purgative, avec certaines de la vie illuminative et de la vie unitive – s’appelle l’Ascétique [du grec askètes, celui qui s’exerce]. Le nom de Mystique, à proprement parler – quoique ce terme embrasse, d’une manière générale, toute la vie spirituelle – désigne la « science expérimentale de la vie divine dans les âmes élevées à la contemplation » (2).
Cette science est essentiellement ésotérique, comme l’est l’optique pour les aveugles. Personne ne peut la comprendre, ni bien l’apprécier sans y être initié par sa propre expérience. D’ailleurs, ce que les grands mystiques sont parvenus à traduire en langage exotérique – et qui nous semble, à nous autres profanes, aussi énigmatique que les couleurs pour un aveugle – a bien plus de portée et nous fait bien mieux connaître les ineffables mystères de la vie spirituelle, que tout ce que peut nous enseigner une théologie spéculative, qui les considère comme de l’extérieur et seulement à travers les énigmes de la raison (3). « Personne ne connaît les choses de Dieu, sinon l’Esprit même de Dieu » (1 Cor 2,11) et « celui à qui le Fils a voulu les révéler » (Mt, 11,27).
Toutefois, ces notions mystérieuses, qui peuvent être obtenues sans expérience propre et constituent la partie exotérique de la Mystique, si incomplètes soient-elles, présentent le plus grand intérêt afin de permettre de reconnaître, dans la mesure du possible, les ineffables mystères de la vie spirituelle et de voir cette merveilleuse évolution de la grâce qui s’achève dans la gloire (4).
Elles sont d’ailleurs indispensables à tout directeur spirituel qui veut remplir son devoir de guider les âmes et ne pas les égarer. Celui qui est animé par un vrai esprit de piété et un minimum de sens chrétien, celui-là ne considérera pas ces choses comme incroyables et ne s’en étonnera pas, comme le font ceux, peu spirituels, qui imitent les incrédules, et cela même s’il ne les comprend pas bien, par manque d’expérience. « L’homme naturel ne reçoit pas les choses de l’Esprit de Dieu, car elles sont une folie pour lui, et il ne peut les connaître, parce que c’est par l’Esprit qu’on en juge. L’homme spirituel, au contraire, juge de tout, et il n’est lui-même jugé par personne » (1 Cor. 2,14-15).
Les simples ascètes – qui sont encore comme des enfants dans la vertu, bien qu’ils sentent parfois ou perçoivent d’une certaine manière les manifestations surnaturelles, ne réalisent pas encore clairement ce qu’elles sont. Ils n’en ont pas suffisamment conscience pour savoir les distinguer des manifestations naturelles.
Leurs principes ordinaires d’opération, par lesquels s’exerce et se manifeste en eux la vie spirituelle, ce sont les vertus infuses. Celles-ci sont certes surnaturelles. Cependant, elles agissent selon un mode connaturel, c'est-à-dire humain. Les dons du Saint-Esprit - par lesquels on agit selon un mode qui est au-dessus du mode humain, par l’exercice des mystérieux sens spirituels – n’influent pas encore, sinon rarement ou à un degré très éloigné. C’est pourquoi c’est à peine s’il est possible de distinguer et de reconnaître le surnaturel, si ce n’est dans ses effets, dans ce que l’on appelle les « miracles de la grâce », dans les changements qu’une âme expérimente parfois soudainement lorsque, de tiède qu’elle était, fragile, inclinée au mal, et lente à faire le bien, sans savoir comment, elle devient fervente, ferme, pleine de courage et de saints désirs.
En agissant ainsi, humainement, l'âme doit s’efforcer d’avancer en quelque sorte par ses propres moyens, selon ses propres initiatives, pour bien exercer la vertu et surmonter les difficultés qu’elle rencontre, guidée par l’obscure lumière de la foi et les normes de la prudence chrétienne. C’est à peine si elle perçoit alors les influx du divin Consolateur qui s’exercent pourtant de manière cachée sur elle, pour la guider, la soutenir et la conforter.
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(1) Ce texte est tiré de l'ouvrage La Evolución mística en el desenvolvimiento de la Iglesia, BAC, Madrid, 1968, I, chap. 1, pp. 17.
(2) « La théologie mystique, dit Gerson, a pour objet une connaissance expérimentale des choses de Dieu, en produisant l’intime union de l’amour ». Cette connaissance est principalement obtenue par le don de sagesse, lequel, comme l’indique Sauvé (États mystiques, p. 120), « a pour caractère de faire savourer les choses de la foi. Il semble alors, en effet, que l’âme les goûte et les sente, et les touche et les expérimente, au lieu de les entrevoir de loin et de les connaître comme par ouï-dire ». Comme l’enseigne saint Thomas, « par ce don (…) s’opère en nous une union à Dieu, selon le mode propre à cette personne divine, c'est-à-dire par l’amour, lorsque l’Esprit Saint est donné. Ainsi, cette connaissance est quasi expérimentale » (in 1 Sent. dist. 14 q. 2 a. 2 ad 3). Elle est ainsi comme un prélude de la gloire. « Le goût intérieur de la divine sagesse est comme un certain avant goût de la béatitude future » (Opusc. 60, c. 24).
(3) La théologie mystique, écrit le V. Bartolomé des Martyrs, « consiste en une haute contemplation, une ardente affection, dans les excès des rapts spirituels ; toutes choses qui sont davantage susceptibles de nous conduire à la connaissance de Dieu que les études humaines. (…) C’est de toutes ces choses que le Seigneur a dit : “Tu les as cachées aux sages, et tu les a révélées aux petits” (Mt 11) » (Compendium mysticae doctrinae, c. 26).
(4) Ce que les mystiques disent de notre transformation en Dieu est applicable à toute la vie surnaturelle. Car la vie mystique n’est rien d’autre que la vie de la grâce, devenue consciente, et connue expérimentalement, de même que la vie du ciel est la même que celle de la grâce, développée, parfaite, parvenue au terme de sa lente et obscure évolution » (Bainvel, Naturel et surnaturel, Paris, 1903, p. 76).
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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