L'ÉVOLUTION MYSTIQUE DANS LE DÉVELOPPEMENT DE L'ÉGLISE (1)
Le texte suivant est le Prologue de La Evolución mística. Dans sa première édition, en 1908, cet ouvrage était destiné à constituer le troisième volume du traité du P. Arintero sur l’Église, intitulé Desenvolvimiento y vitalidad de la Iglesia, dont le propre Prologue est traduit sur ce site. Très tôt, cependant, l’importance du sujet et la qualité de son traitement ont fait de L’Évolution mystique un ouvrage à part, publié de manière autonome.
Le P. Adriano Suarez, premier biographe du P. Arintero, a écrit de cet ouvrage qu’il était le « livre le plus caractéristique et le plus fondamental » de ce dernier, « son meilleur livre et celui qui exprime le mieux son propre progrès dans la doctrine et la vie spirituelle » (1).
Nous avons étudié le développement de l’Église dans son organisation extérieure et dans les manifestations les plus visibles de sa vitalité, à savoir les progrès croissants de sa discipline, de sa liturgie, de ses saintes pratiques et de toute sa doctrine merveilleuse. Il nous reste maintenant à examiner attentivement le développement interne, mystérieux, de sa vie intime. Cet aspect est le plus fondamental et le plus important de tous car le développement de la doctrine et de l’organisation de l’église découle de sa vie ou des exigences de son processus vital. Son organisation est une condition nécessaire à la manifestation de ses virtualités internes ; sa doctrine exprime la loi de ses relations organiques et vitales. Ainsi, le progrès extérieur – qu’il soit organique ou doctrinal, disciplinaire ou liturgique – révèle un progrès intérieur, un accroissement de vie. Or cet accroissement est fondamental et essentiel. Tous les autres en dépendent, s’y ordonnent et lui sont subordonnés, à tel point que sans lui ils seraient vains. La vie intime de l’Église est ainsi la cause finale et efficiente de tous ses développements.
L’ardeur de la charité est en quelque sorte la propriété caractéristique et l’indice le plus sûr de cette vie. Sans elle, tout le reste ne sert à rien (1 Cor. 13). La science enfle, sans édifier (ibid. 8, 1) ; la lettre tue (2 Cor. 3, 6) ; celui qui ajoute une science, qui ne peut être alors que vaine, n’ajoute que travail et douleur (Eccl. 1, 18) ; le simple ajout d’organismes nouveaux, sans que leur corresponde une énergie vitale, ne fait qu’augmenter les nécessités et les infirmités : vous avez multiplié le personnel, vous n’avez pas augmenté sa joie (cf. Is. 9,3). « La chair ne sert de rien ». En revanche, l’Esprit de Jésus-Christ « vivifie tout », et les paroles de notre Sauveur sont tout entière esprit et vie (Jean, 6, 64).
Le Fils de Dieu est venu en ce monde pour nous incorporer à Lui, pour nous faire vivre de Lui, comme il vit Lui-même du Père, afin que nous ayons la vie éternelle et que celle-ci se manifeste en nous toujours plus pleinement (Jean 10, 10 ; cf. 6, 55-58) (2). Cette merveilleuse vie est celle de sa grâce, véritable vie éternelle, en laquelle saint Pierre nous commande de croître en disant : « Croissez dans la grâce et la connaissance de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ » (2 Pierre 3, 18).
Ce progrès, cet accroissement de la vie de la grâce, c’est cela qui constitue l’évolution mystique.
Cette évolution mystérieuse, par laquelle se forme en nous le Christ lui-même (Gal. 4,19), est par conséquent la fin principale de la Révélation divine et la raison essentielle de toutes les évolutions et de tous les progrès. C’est à elle que sont ordonnés la lumière de la foi, l’Évangile tout entier, la fondation de l’Église et l’Incarnation même du Verbe divin. Car la foi est ordonnée à la charité, qui est le lien de la perfection. De même les dogmes, ainsi que le souligne très bien un apologiste moderne, n’ont pas tant pour objet de produire des satisfactions intellectuelles que de nous pousser à rechercher le don de Dieu, l’Eau vive de l’Esprit et la vertu de sa grâce sanctifiante. L’Évangile, quant à lui, fut écrit pour que « croyant que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, nous ayons la vie en son nom » (Jean, 20,31). La fin de l’Église est la sanctification des âmes. Et le Verbe de Dieu, enfin, est venu en ce monde, où il s’est fait fils de l’homme, pour que les hommes deviennent des fils de Dieu, pour les combler de sa propre vie, pour restaurer et en récapituler de cette manière toutes choses en les attirant toutes à Lui (Jean 1,12 ; 3,16 ; 12,32). Voilà pourquoi il nous a dit : « Je suis venu jeter un feu sur la terre, et comme je voudrais que déjà il fût allumé ! » (Luc, 12,49). Ce feu est celui de l’Esprit-Saint, qui doit nous donner vie, nous enflammer, nous purifier, nous renouveler et nous perfectionner, en nous transformant jusqu’à nous DÉIFIER…
On comprend, dès lors, la souveraine importance de ces études consacrées à rechercher la pierre précieuse et le trésor caché évoqués par l’évangile, à lever un peu le voile sur les grands mystères du royaume dans les âmes et à découvrir la raison suffisante des manifestations si variées et si belles de la vie et des virtualités infinies de la sainte église catholique. Malgré la malice et la négligence des hommes, malgré les hostilités du dehors, les incuries, les inerties et les pesanteurs du dedans, l’ineffable vie surnaturelle qui anime et soutient l’église, lui donne un être impérissable et autonome, la remplit d’indicibles enchantements, et la conduit avec une sécurité infaillible sur les voies divines de la vérité et du bien, alors que les sociétés humaines paraissent s’obstiner à se mouvoir dans le même cycle d’erreurs et de vices.
S’il y a bien une étude qui soit au plus haut degré édifiante et instructive, en même temps qu’apologétique, c’est bien celle de l’évolution mystique, de cette singulière expansion de la grâce, comme principe vital d’un ordre divin, de ses multiples manifestations et de ses glorieux effets dans l’Église, en tant qu’organisme biologico-social, et dans chacun des vrais fidèles, en tant que membres de ce Corps mystique (3).
Le plus humble des chrétiens apprendra ainsi à apprécier à sa juste mesure sa dignité sans mesure de fils de Dieu, et à agir en toutes choses en accord avec elle, au mépris des trompeuses grandeurs du monde (4). Il apprendra à estimer le don divin, à l’aimer de toute son âme et à le cultiver avec le plus de perfection possible.
Par le fait même, il apprendra à détester de tout son cœur, non seulement le péché grave, qui dépouille de cette dignité et fait tomber misérablement au pouvoir des ténèbres, mais aussi le péché véniel, qui pose des obstacles à l’amitié de Dieu et aux infusions continuelles de sa grâce, en disposant ainsi l’âme à une inéluctable chute. Le plus humble des fidèles pourra alors trouver le courage du sacrifice, pour déraciner en lui jusqu’au dernier germe du mal, acquérir les vertus divines et se laisser envahir et transformer par le mystique ferment évangélique. Il se résoudra même à passer par le feu et l’eau, afin d’achever d’être purgé de toute scorie terrestre, et à s’abandonner pleinement aux mains de Dieu pour devenir, comme le dit joliment saint Grégoire de Nazianze, un très fin instrument de musique, dont l’Esprit Saint lui-même tirera des mélodies divines.
Le prêtre, soit en chaire, soit au saint tribunal de la pénitence, doit instruire et diriger les âmes. Il apprendra par ces études à les former dans le véritable esprit de Jésus-Christ, à les préserver des voies détournées de l’esprit propre et des innombrables pièges tendus par le monde, le démon et la chair. Il apprendra à les orienter, à les stimuler, à les encourager lorsque, poussées par leur Hôte divin, elles empruntent la voie à la fois douloureuse et glorieuse de la configuration au Sauveur. Ainsi doivent agir les ministres de Dieu, au lieu, par ignorance, de les paralyser, de les troubler ou de les ruiner comme il arrive malheureusement si souvent, tant il est certain que l’ignorance et le manque d’esprit des directeurs est cause de la ruine d'un très grand nombre d'âmes : de celles qui stagnent ou se détournent, de celles qui ne découvrent pas les voies de la vie mystique, de celles, parmi les plus généreuses, qui souffrent d’indicibles angoisses et de tortures intérieures, sans guère de profit, parce qu’elles se voient incapables de marcher là où Dieu les appelle, selon un autre mode, à voler au souffle de l’Esprit, alors que l’imprudence aveugle de leurs directeurs leur coupe les ailes. ⇢
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(1) In Vida del P. M. R. Fr. Juan G. Arintero, Cádiz 1936, p. 279.
(2) « Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson. Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé et que je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. Voici le pain descendu du ciel ; il n’est pas comme celui qu’ont mangé les pères et ils sont morts ; qui mange ce pain vivra à jamais » (Jn 6, 55-58).
(3) Voir l’intéressant article Deificación (dans Ideales, juillet et août 1907, par le P. Fr. José Cuervo, auquel, pour cette raison, je dois manifester ma gratitude pour toute l’aide qu’il a apportée en cet ouvrage.
(4) Le P. Arintero cite ici un passage de saint Jérôme, Lettre 9 : Disce sanctam superbiam ; scito te illis maiorem ». Il semble que ce texte soit d’une lettre 22, apparemment adressée à une femme consacrée, au sujet de femmes qui s’enorgueillissent des dignités de leurs époux. Saint Jérôme lui écrit : « Ad hominis coniugem, Dei sponsa quid properas ? Disce in hac parte superbiam sanctam: scito te illis esse meliorem ». C’est-à-dire : « Pourquoi vous abaisseriez-vous auprès de la femme d’un homme mortel, vous, épouse d’un Dieu ? Montrez en cette occasion une sainte fierté, et songez que vous êtes bien au-dessus d’elle ». La leçon est néanmoins là : le baptisé doit apprendre à cultiver une « sainte fierté » de sa grande dignité d’enfant de Dieu (NdT).
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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Pour moi ferez beaucoup et vous n’y perdrez mie. »
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