INTRODUCTION AU CANTIQUE DES CANTIQUES (1)
Ce texte est l'introduction de l'ouvrage intitulé El cantar de los cantares, Exposición mística, publié pour la première fois en 1919, avec cette dédicace du P. Arintero : « À la douce Reine des cœurs, Mère du bel amour et de la sainte Espérance, l'auteur, le dernier de ses serviteurs, dédie cet humble travail », Salamanque, 25 mars 1919 ». Il est ici précédé, dans l'édition de 1958, d'un Prologue adressé par le P. Alberto Colunga Cueto (1879-1962) - considéré comme le pionnier des études bibliques en Espagne - « au pieux lecteur ». Pour aider à situer l'ouvrage du P. Arintero, nous donnons ici d'abord la traduction de ce Prologue.
PROLOGUE DU P. COLUNGA
Le Cantique des Cantiques est, parmi les livres de l’Ancien Testament, un livre singulier, le livre préféré des mystiques et des poètes. Pour cette raison, il n'est pas surprenant qu'il ait été l'objet de nombreux commentaires. Ces derniers temps, il a été interprété comme une œuvre dramatique, mais à tort. Nous pensons, au contraire, qu'il faille soutenir l'interprétation allégorique, qui est, en substance, l'interprétation traditionnelle des juifs et des chrétiens.
Ceux qui ont lu la Bible, tant de l'Ancien que du Nouveau Testament, auront observé son abondant usage d’éléments faisant appel à l’imagination. Dieu, ayant choisi Israël comme son peuple spécial pour préparer l'œuvre du salut messianique, commença par conclure avec lui un pacte bilatéral. C’est une première image. Le Seigneur et Israël sont deux alliés. Les nations, qui entouraient Israël, étaient organisées en royaumes, et Israël conçut le Seigneur comme son roi et se conçut lui-même comme son royaume. Nous avons ici l’origine d’une autre image, celle du royaume de Dieu, du royaume des cieux. En Israël, le petit bétail abondait ; les patriarches d'Israël furent surtout des bergers. D'où cette autre image, de Dieu comme berger d'Israël, et d'Israël comme troupeau de Dieu qu'il fait paître, à travers des rois, des prophètes et des prêtres. Cependant, l'image préférée pour exprimer les relations de Dieu avec son peuple est celle du mariage. Yahvé est l'Époux, Israël est l'Épouse et le Temple est la maison où se nouent les relations conjugales, qui sont toujours de nature spirituelle. Cette image est largement développée par Osée et par Ézéchiel. Cependant, dans le livre de l'Exode, déjà, Dieu se présente à Israël comme le Dieu jaloux, et chez les Prophètes les infractions que constituent le péché, en particulier celui d’idolâtrie, sont qualifiées d’infidélités, d’adultères. Dans l’Évangile, le royaume des cieux est souvent comparé à un banquet de noces. Saint Paul dit avoir marié les Corinthiens au Christ époux, et saint Jean, dans l’Apocalypse, nous présente l’image des noces de l’Agneau avec Jérusalem, son Épouse.
Dans la période qui suivit l’exil, un sage, qui était aussi un éminent poète, s’empara de cette image et la développa dans une suite de scènes et de chants, en se fondant sur les coutumes nuptiales de son peuple, et peut-être celles de peuples voisins, qui ne devaient pas être bien différentes, et en prenant pour matériaux ceux que lui offraient en abondance les prophètes dans leurs discours messianiques. Le Cantique, si empli d’optimisme, ne peut pas correspondre aux temps historiques d’Israël, que les historiens et les prophètes nous décrivent de manière si noire, mais à l’époque messianique, que les prophéties messianiques nous dépeignent avec des nuances de rose. L’Épouse si belle, sans tache ni ride, ne peut être cet Israël ni cette Jérusalem que nous présentent les prophètes, livrés à l'idolâtrie, dont les mains sont souillées par le sang des pauvres, des opprimés ou des innocents sacrifiés à des dieux païens.
Cependant, lorsque nous parlons d'allégorie, nous ne parlons pas d'une simple métaphore qui serait filée au long des pages, dont tous les éléments, les verbes, les substantifs, etc., auraient une signification particulière transposée. De ce genre d’allégories, saint Jean ne nous donne que quelques exemples dans son Évangile. Nous parlons des allégories que nous offrent les prophètes, qui les développent largement, et où abondent les éléments de simple ornementation. Si nous parcourons les longs chapitres 16 et 23 d'Ézéchiel, où le prophète expose l’histoire d’Israël dans ses relations avec Dieu sous l’image du mariage, nous constatons un grand nombre d’éléments d’ampliation dans lesquels il serait vain de rechercher une autre signification que celle de mettre en œuvre les éléments essentiels de l’allégorie. Il est vrai que les Pères et que les commentateurs anciens ne faisaient pas de distinction entre ces deux sortes d’éléments ; mais nous pensons que l'exégèse actuelle, qui cherche surtout dans la Bible le sens littéral, procède mieux en les distinguant, pour attribuer à chacun ce qui lui correspond.
Dans le Cantique des Cantiques, les commentateurs mystiques ont l’habitude d’affiner l’interprétation des moindres détails pour y voir de grands mystères. Bien souvent, ces exposés, considérés en eux-mêmes, sont admirables, par la doctrine qu’ils contiennent, mais non en tant qu’expositions du texte sacré. Les auteurs de ces interprétations, emplis de science mystique et d'esprit de Dieu, nous offrent d'admirables pages de doctrine spirituelle mais celle-ci ne peut pas être considérée comme contenue en elle-même dans le texte biblique, à moins de suivre les normes que donne saint Augustin, dans ses Confessions, selon lesquelles le Saint-Esprit a connu ces expositions, qu'il a lui-même inspirées à ces auteurs et que, comme autant de choses bonnes et saintes, il les a approuvées et fait siennes. Cependant, cette méthode exégétique, que l’amour de la concordance entre les différents commentateurs de la Genèse inspirait au saint Docteur, l’Église ne l’a pas fait sienne, ni la science moderne.
En revanche, nous avons dans le Cantique des Cantiques la réalisation de la doctrine sur le sens plénier qui s’impose aujourd’hui chez les exégètes. En effet, ce livre célèbre les noces de Dieu et d’Israël aux temps messianiques, telles que les prophètes les ont contemplées avec les lumières que l'Esprit-Saint leur communiquait. Quelle réalisation de ces prophéties nous est donnée par les Évangiles ? Nul ne peut douter qu’il y ait une identité substantielle entre la perception des prophètes et celle des apôtres, bien qu’il y ait entre eux une diversité accidentelle dans la manière de concevoir et d’exprimer leur sens de Dieu. Or il n'est pas douteux que le Seigneur du Cantique soit Jésus-Christ, Dieu et homme, et que l’Israël soit « l’Israël de Dieu » dont parle saint Paul, l’Israël formé par les enfants d’Abraham, selon la foi.
Nous pouvons encore aller plus loin. Dans l'Ancien Testament, les relations de Dieu avec Israël sont d'abord des relations avec le peuple d'Israël, mais peu à peu ces relations deviennent individuelles, avec les âmes, les seules qui aient une existence et un destin éternels. Tout ce qui constitue l’élément formel de la collectivité, disons de l'Église, est ordonné à la vie des âmes. Par conséquent, ce sont ces dernières qui sont les véritables épouses du Christ, et c'est là le véritable sens de l'expression de l'Apôtre, lorsqu'il écrit : « je vous ai fiancés à un époux unique, pour vous présenter au Christ comme une vierge pure » (2 Corinthiens, 11,2). Le sens n’est pas différent chez saint Jean lorsqu’il nous parle des noces éternelles de l’Agneau dans l'Apocalypse.
Nous pouvons encore faire un pas supplémentaire en considérant que, si dans le mariage, le lien juridique, qui unit les époux entre eux, est une relation, laquelle, selon les logiciens, n’admet ni plus ni moins, la nature et la grâce y ont ajouté l'amour, qui unit les cœurs, et c'est cela qui est essentiel dans ce mariage mystique de Jésus-Christ avec les âmes, que célèbre le Cantique des Cantiques. →
ARINTERIANA
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Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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Pour moi ferez beaucoup et vous n’y perdrez mie. »
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