INTRODUCTION AU CANTIQUE DES CANTIQUES (1)
Ce texte est l'introduction, par le P. Arintero, de l'ouvrage intitulé El cantar de los cantares, Exposición mística, publié pour la première fois en 1919, avec cette dédicace du P. Arintero : « À la douce Reine des cœurs, Mère du bel amour et de la sainte Espérance, l'auteur, le dernier de ses serviteurs, dédie cet humble travail », Salamanque, 25 mars 1919 ».
Le Cantique des Cantiques de Salomon, c'est-à-dire le Cantique par excellence, est un épithalame divin (1), inspiré par l'Esprit Saint, qui figure parmi les livres de l’Ancien Testament. Sous la figure de noces humaines, celles de Salomon et de la Sulamite, ou d’un berger et d’une bergère, et de l’amour tendre qui les unit, sont symbolisés et vivement représentés les ineffables amours du Christ et de sa mystique Épouse, la Sainte Église catholique, et de la très Sainte Vierge – type achevé de l’Église elle-même et modèle des âmes saintes. Le Cantique nous manifeste ainsi les ineffables mystères des épousailles spirituelles que le Verbe divin veut célébrer avec ces âmes.
Plusieurs sortes de personnages interviennent dans ce chant. Les principaux sont l'Époux et l’Épouse. Ils apparaissent en général comme des bergers, parfois comme des laboureurs ou des jardiniers, mais aussi comme des rois. Interviennent aussi des jeunes filles et les filles de Sion, lesquelles sont les amies de l’Épouse, qui aspirent à ces épousailles divines, ainsi que les filles de Jérusalem, qui sont des âmes plus ordinaires, profanes dans les voies de l’amour mystique. On rencontre encore les amis de l’Époux, lesquels représentent soit ses ministres sur la terre, soit ses Anges et les Saints du ciel (2).
L'auteur humain de ce livre, d'après son propre titre, et selon une tradition à peu près générale, aussi bien juive que chrétienne, semble être le roi Salomon lui-même. Cependant, certains critiques modernes, se fondant sur la manière dont ce personnage est décrit, qui ne lui conviendrait pas, et sur des araméismes et des expressions chaldéennes que l’on rencontre dans le texte, prétendent que ce dernier serait très postérieur à l’époque de Salomon. Il remonterait au temps de Néhémie et d’Esdras. Cette opinion gagne du terrain.
Cependant, en serait-il ainsi, et ce livre ne serait-il qu’attribué à Salomon (comme lui est attribué, à tort, le livre de la Sagesse) que cela ne changerait rien pour nous, dès lors que le type et la figure du véritable Époux qui est ici célébré demeure Jésus-Christ. Comme le disait saint Grégoire le Grand, ce qui importe vraiment pour notre édification, c’est de savoir que l’Esprit Saint lui-même nous a enseigné les divines Écritures, et non pas de savoir le nom de l’instrument humain dont il s’est servi pour les écrire.
1. SENS LITTÉRAL OU SENS SPIRITUEL ?
Le sens spirituel et mystique de ce Chant admirable, les traditions juive et chrétienne en sont parfaitement d’accord, est le témoignage le plus éloquent qui soit du tendre amour et de l’alliance intime de Dieu avec son peuple choisi, et très particulièrement avec les âmes heureuses et privilégiées qui savent y répondre.
Ainsi, Rabbi Eleazar, chef du Sanhédrin, fit condamner autour de l’an 90 de notre ère l'opinion de l'école de Schammaï, qui prenait ce livre totalement au pied de la lettre, comme s'il ne célébrait que des noces humaines (3). De la même manière, le deuxième Concile de Constantinople (553) condamna l’opinion de Theodore de Mopsueste (360-429), lequel fut, parmi les chrétiens, le premier à considérer ce livre comme un simple épithalame destiné à célébrer les noces de Salomon avec la princesse égyptienne. Cette opinion est dès lors tout à fait inacceptable, quoi qu’en disent les critiques rationalistes.
Le sens mystique ou spirituel étant assurément celui qui est premièrement recherché par l’Esprit Saint, on pourrait admettre ici, absolument parlant, comme dans d’autres passages de l’Ancien Testament, que ce livre ait aussi un sens historique littéral qui ait pu servir de fondement à ce sens premier. Telle fut l’opinion de Bossuet, de Calmet et d’autres commentateurs catholiques. Ils soutinrent qu’en son sens littéral, ce livre se référait aux noces de Salomon, mais que ces dernières avaient une signification spirituelle, représentant l’union nuptiale du Christ et de l’Église, et de toute âme en état de grâce.
Cependant bien que cette opinion ne soit pas condamnable, et qu’elle puisse absolument parlant être soutenue, parce qu’elle présente a priori certaines apparences de vérité, elle implique, de fait, de nombreux inconvénients graves, ce pourquoi elle a peu de partisans faisant autorité.
La plupart des catholiques, et même des juifs (4), considèrent que ce Cantique, en son intégralité, ne doit pas être pris au pied de la lettre, mais de manière méta-phorique ou allégorique, comme une véritable allégorie rhétorique, c'est-à-dire comme une métaphore continuée, à l’instar des paraboles du fils prodigue (Lc15), de la vigne (Lc 20, 9-16), du semeur ou des noces du fils du roi (Mt, 13,3 ; 22, 2). Il s’agit donc là de son sens premier et littéral, quoiqu’impropre ou métaphorique, celui que Bossuet considérait être seulement un sens second ou figuré. Ainsi, ce sens mystique ou spirituel est le seul sens littéral véritable, le seul recherché par l’Esprit-Saint, et même par l’auteur humain de l’œuvre. Celui-ci, pour symboliser ces amours sur-naturelles très pures, a utilisé des images et des comparaisons naturelles. « C’est pourquoi, dit Fray Luis de León, tout le discours de ce livre est figuré, et allégorique » (5).
Notes
(1) L’épithalame est un poème ou un chant composé à l'occasion d'un mariage pour célébrer les nouveaux mariés.
(2) « L’Épouse, dit Juan de Jésus M., C. D., est l'âme spirituelle de l’union matrimoniale, unie à Jésus-Christ, les compagnons de l’Époux, sont les Docteurs de l'Église ; les compagnes de l’Épouse sont les âmes, soit de Sion, soit de Jérusalem, qui sont attachées à elle » (Cantici Canticorum Interpret., Salamanca, 1602, Canones, 7).
(3) « Jamais, répliqua énergiquement le célèbre Akiba, personne ne s’est aventuré, en Israël, à douter que ce Cantique fût un livre sacré (…). Toutes les hagiographes sont saintes, mais le Cantique est sacro-saint ».
(4) « qu’il soit exclu – s’exclamait Aben-Esra (Pref. In Cant.) que le Cantique des cantiques puisse se rapporter à une volupté charnelle ; bien au contraire, tout en lui est figuré ».
(5) En indiquant cela, nous ne nions pas qu’il puisse y avoir un premier sens figuré qui ne soit pas proprement mystique mais qui soit, en rigueur de termes, littéral-historique – comme l’amour du Seigneur pour le Peuple élu – et qui serve de fondement à un autre sens, plein et plus figuré, proprement mystique, comme est l’amour de Jésus pour chaque âme sainte. Ce sens-là est le principal objet de ce modeste commentaire, bien que toutes ces expressions de l’amour divin puissent très bien être largement prises en un sens figuré. « Ce qui est dit ici de Jésus-Christ Époux de l’Église et de l’âme juste est la même chose que ce que dit l’Esprit-Saint en un sens pleinement littéral. Même si l’enveloppe des choses spirituelles est décrite sous la figure de choses corporelles, je ne considère pas que les choses auxquelles font allusion ces figures visibles appartiennent au sens mystique, mais au sens littéral » (Juan de J. M., Cant. Interpret. Can. 13-14).
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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