LA PASSION DE DIEU AU SERVICE DE L'ÉGLISE
Chapitre 1 : Les jeunes années de Lugueros
C’est dans un petit village de montagne de la province espagnole de León, Lugueros, que Juan Gonzalez Arintero vit le jour, le 24 juin 1860, à huit heures et demie du soir.
Lugueros, située à plus de mille mètres d’altitude, au pied du pic Bodón, est le centre de la municipalité de Valdelugueros, laquelle comptait alors neuf villages. S’y déploient plaines, chaînes de montagnes, forêts, ponts romains et médiévaux. Parmi ces villages, à sept kilomètres de Lugueros, l’un porte le nom d’Arintero, qui conserve le souvenir de la célèbre Jeanne, la « demoiselle qui s’en fut à la guerre » au service des rois catholiques au XVe siècle.
C’est assurément une région belle et rude, de tempéraments bien trempés. Celle d'un peuple « indompté, tenace, austère, prudent, énergique, sobre et très religieux » (1). Une région pauvre, mais où chaque famille possède sa petite maison, quelques arpents de terres, quelques têtes de bétail.
Chaque village de la municipalité, si petit soit-il, a alors son maître d’école, de sorte qu’il était fort rare, écrit le P. Adriano Suarez, premier biographe du P. Arintero (2), d’y rencontrer un analphabète. Les enfants apprenaient auprès de ce maître non seulement à lire, à écrire et à compter mais aussi à connaître leur catéchisme. C’est le célèbre Catéchisme de la doctrine chrétienne qui est alors en usage, écrit par le Père Gaspar Astete au XVIe siècle, qui sert de support matériel à cet enseignement (3).
La famille Arintero, quoique modeste, possède de petites propriétés foncières et quelques têtes de bétail. À l'image de la région où elle est implantée, c’est une famille de vieille tradition chrétienne. Nous ne sommes pas très loin de Covadonga, le berceau symbolique de la prodigieuse épopée de la Reconquista.
Le père, Gervasio, dont la mémoire honorable sera longtemps conservée, a alors 34 ans et exerce la fonction de juge municipal suppléant. Il décédera le 19 février 1874, à l’âge de 48 ans. Selon les témoignages recueillis bien plus tard par le curé de la paroisse, Gervasio « fut toujours considéré comme un très bon chrétien, posé, sans violences ni ambitions mondaines, se contentant de peu ; un modèle de chrétien, simple ».
La mère, Manuela González Avecilla, qui a 42 ans à la naissance de l’enfant, décédera le 28 mai 1877, à l’âge de 59 ans.
Cinq enfants sont déjà l’ornement de cette maison quand Juan vient au monde : José, Luisa, Emilia, Josefa et Catalina. Cette dernière prendra l’habit chez les moniales dominicaines en 1885.
Lors du baptême, le 27 juin 1860, Gervasio et Manuela donnent au nouveau-né le prénom de Juan, en l’honneur de Jean le Baptiste, dont l’Église catholique avait célébré la fête au jour de sa naissance. Juan reçut le sacrement de confirmation en août 1867, à l’âge de six ans.
L’enfance du futur P. Arintero est, dans l’ensemble, celle d’un enfant ordinaire de la campagne. Comme les autres enfants, il fréquente la petite école de son village, où les cours commencent à la fête de la Toussaint pour s’achever un peu après le carême. Il aide aux soins domestiques, vaque de temps en temps à la garde commune des troupeaux dans la montagne, selon que le tour en revient à sa famille. Très tôt, cependant – vers l’âge de dix ans, dit-on – il est fortement attiré par l’étude.
Le 9 septembre 1872, à l’âge de douze ans, le petit Juan – Juanín, ainsi qu’il est appelé en famille – est envoyé par ses parents à Boñar, à une trentaine de kilomètres au Sud-Est de son village, afin d’y étudier la grammaire et le latin sous la direction d’un précepteur, qu’on appelait alors le Domine. Il y séjourne trois années de suite dans une sorte de pension de famille, très pauvre, qui accueille avec lui d’autres enfants. C’est là qu’il devait connaître la première grande épreuve de sa vie : l’annonce du décès de son cher père.
L’enseignement qu’il reçoit alors du latin est rien moins que rigoureux, mais à n’en pas douter hautement formateur. Les études sont rythmées par la longueur des journées et la lumière qu’elles apportent. Qu’on en juge : les cours commencent à 8 h 00 lorsque les journées sont courtes, à 6 h 00 lorsqu’elles sont longues, pour se terminer à 20 h 00 dans ce dernier cas, avec les pauses des repas, du goûter et des récréations, les plus anciens travaillant à former les plus jeunes sous le contrôle du Domine. Juanín ne rentre chez lui que pour les vacances de Noël et de Pâques [du samedi des Rameaux au lundi de Pâques], puis, pour l’été, à compter de la fête de saint Pierre, le 29 juin.
Celui que l'on appelle désormais parmi les siens “l’étudiant”, peut-être avec un mélange d’envie et de dérision, peut-être aussi avec un mélange de fierté, participe alors tant bien que mal aux travaux de la campagne, avec une efficacité des plus mitigées, maladroit en ses tâches matérielles. Il faut dire que ses chers livres, désormais, ne le quittent plus, avec lesquels on le trouve parfois endormi. « Ils l’accompagnaient sur l’aire, dans les prés, dans la montagne, partout où il trouvait quelque instant de libre. L’étude était déjà pour lui une vocation invincible » (4). Cependant, rien ne le distingue alors vraiment de ses camarades d’étude. Ce n’est pas un élève spécialement brillant. Il est au demeurant peu expansif.
En revanche, c’est un garçon agréable, attachant, bon, très aimé des siens, qui fait ce qu’il doit avec simplicité et ardeur, tant dans ses charges domestiques que dans son travail scolaire. A propos de cette simplicité, le P. Suarez note que le jeune Juan est, selon la belle formule de Tertullien, de ceux qui ont le bonheur d’être doués d’une âme « naturellement chrétienne ».
Il poursuit : « Les célestes semences de la foi, ou la doctrine chrétienne, trouvaient en la sienne, droite, simple et candide, un large sillon et une terre de bénédiction, la plus à même de fleurir et de grandir au soleil de Dieu et au souffle vivifiant et paisible de la divine grâce » (5).
Cette candeur, qui accompagnera toute sa vie, s’accompagne déjà d’une profonde piété qui sera également un trait constant de sa personnalité. L’un de ses camarades témoigna qu’il était alors « le premier à faire ces actes de piété habituels dans le peuple, comme réciter l’Angelus ainsi que le Chemin de croix autour de l’église, même si certains se moquaient de lui à cause de sa mauvaise prononciation » (6).
Nous ignorons quand l’évidence de sa vocation dominicaine illumina son âme. Très tôt, assurément. Sa nièce, Sœur María Luisa, raconte que tout jeune encore, Juanín se mettait debout sur le banc de la cuisine de la maison pour y faire de petits sermons, ce qui remplissait de bonheur la famille. L’anecdote en dit long sur la spontanéité de sa conduite et la joie très simple qui l’éclairait. L’un de ses condisciples de Boñar rapporta qu’à l’âge de douze ans, interrogé par son Domine sur le métier qu’il entendait faire plus tard, le jeune Juan lui répondit sans hésiter : « Je serai Frère ». Plus tard, une fois ce projet réalisé, Juan écrira dans ses notes intimes, au souvenir du jour de sa prise d’habit, que ce jour lui avait apporté « ce qu’il avait depuis si longtemps désiré ». Nous n’en savons pas davantage, mais c'est assez pour connaître que ce désir était ancien.
Dieu qui fit naître si tôt ce désir de devenir un fils de saint Dominique ne tarda pas à l’exaucer. A l’âge de quatorze ans, Juan annonça à sa famille qu’il était résolu, l’année suivante, à demander son admission au couvent dominicain de Corias, tout en s’appliquant à consoler sa maman et ses sœurs dont le chagrin de cette séparation emplissait déjà le cœur. De ce temps, sa sœur Emilia apporta ce témoignage : « Lorsque mon petit Juan est entré au couvent, il était aussi innocent qu’un enfant de deux ans ». Et le P. Suarez de renchérir : « La conscience de sa propre responsabilité et de ses indéclinables devoirs à l’égard de Dieu fut en lui toujours si vive, si délicate et si ferme, que tout nous incline à croire qu’il ne perdit jamais l’innocence baptismale » (7).
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(1) P. Pedro Fernández Rodríguez, o. p., “El P. Arintero y la obra del amor misericordioso en el jubileo de la misericordia”, conférence prononcée au couvent de la Minerve (Rome), 28 avril 2016.
(2) A. Suarez, o. p., Vida del M. R. P. Fr. Juan G. Arintero, 2 vol. Cadiz 1936. Nous empruntons, dans les pages qui suivent, nombre d’informations à cet ouvrage irremplaçable, qui n’a pas été traduit, à notre connaissance, en langue française.
(3) Le Père G. Astete (1537-1601), jésuite, écrivit cet ouvrage en 1599. Depuis lors connu comme l’Astete, ce catéchisme, utilisé jusqu’à une période encore récente, et toujours en vente, traduit en différentes langues, contribua à former des millions d’enfants à travers le monde.
(4) A. Suarez, o. p., Vida…, p. 9.
(5) Tertullien, Apologétique, XVII ; A. Suarez, o. p., Vida…, p. 19.
(6) A. Suarez, Loc. cit..
(7) A. Suarez, op. cit., p. 20.
ARINTERIANA
Paris - France | 2022 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
« Vous qui êtes ici, dites un Pater à mon profit.
Pour moi ferez beaucoup et vous n’y perdrez mie. »