EXTRAITS D'ŒUVRES DU P. ARINTERO
Avertissement du traducteur
Ainsi que s’accordent à le reconnaître la plupart des commentateurs de l’œuvre du P. Arintero, cette dernière présente deux difficultés majeures, deux « déficiences accidentelles » (1).
1.- La première tient au style de l’auteur, à la manière dont il transcrit par l’écriture les cheminements de sa pensée. Le P. Arintero écrit comme porté tantôt par la joie et l’enthousiasme, visiblement fasciné par les enchantements qu’il décrit, tantôt par l’indignation. Comme une houle, parfois, ses phrases enflent, grossissent, accumulant les adjectifs successifs, les incises, les propositions incidentes et les comparaisons. La lecture en est alors rendue difficile. Il faut y revenir, relire, pour chercher le sujet d’une phrase qui s’est laissé distancer par la rapidité du flot.
Ce travers, le P. Arintero en était lui-même conscient. Tentant un jour de dissuader ses supérieurs de lui confier une chaire d'enseignement à l'Angelicum de Rome, récemment fondé, il évoquait en particulier sa « lenteur et sa difficulté à s'expliquer, dues à son manque croissant de mémoire et de talent synthétique » (2). Son premier biographe, le P. Suárez, peu suspect d'antipathie à son égard, soulignait son « manque de rigueur d'exposition ».
Le traducteur est alors conduit, soit à s’en tenir à la littéralité des phrases, au risque de véhiculer lui-même cette difficulté de lecture, soit à l’adapter par la cisaille, en découpant et reconstruisant, ici ou là. C’est le parti que nous avons pris, pour ces traductions françaises, sans regret aucun nous empressons-nous d’ajouter. L’essentiel, en effet, est de bien faire entendre la pensée exprimée. Or cette expression ne gagne rien à conserver servilement une littéralité qui parfois la dessert. Pour traduire sans trahir, il ne suffit pas de donner leur sens exact aux mots initiaux. Il faut servir fidèlement, en sa propre langue, une pensée, telle que l'auteur aurait pu l'exposer en cette langue (3). C’est la recherche de ce service qui nous a toujours guidé. Il faut cependant souligner que ce même souci de fidélité nous a conduit, parfois, à conserver la longueur de ses phrases car, sans elle, il ne serait pas possible, ici et là, de toucher du doigt une partie essentielle de son oeuvre, à savoir la passion et le feu apostolique qui animaient son discours (4). Il convient d'ailleurs d'observer que le P. Bandera, fin connaisseur de la pensée du P. Arintero, voit dans son style un style proportionné non seulement à la passion de Dieu de son auteur mais aussi à la sublimité du sujet traité, spécialement dans l'ouvrage Évolution mystique (5).
2.- La seconde difficulté tient à la méthodologie très particulière de l’auteur. Le P. Arintero, ainsi que nous avons essayé de le montrer dans sa biographie, est providentiellement venu en ce monde pour lui apporter un enseignement dont il avait besoin.
Sa mission a consisté non pas à inventer une doctrine mais à la restaurer, à la faire re-découvrir, sur le fondement non seulement de l’analyse théologique mais aussi du témoignage des saints. Des saints de tous les temps : du sien, qu’il fréquentait, et de ceux des temps passés.
Nous savons bien, par l’expérience de notre propre temps, que certaines “traditions” spirituelles, morales, théologiques attribuées à l’Église sont parfois, en réalité, des constructions tardives veinées de volontarisme et de jansénisme. Cet héritage, confondu avec une tradition authentique, masque alors la réalité de cette dernière. Il en était de même au temps du P. Arintero. C’est pourquoi la redécouverte qu’il proposait comme une authentique tradition ecclésiale de vie chrétienne fut paradoxalement perçue par certains, qui n’étaient pas peu nombreux, comme une insupportable nouveauté, teintée de modernisme. Cette opposition donna lieu à des débats parfois très violents.
Le P. Arintero a dès lors dû s’appliquer à justifier que la doctrine qu’il présentait n’était pas une invention hasardeuse de sa part mais bien l’expression de la tradition certaine de l’Église, et qu’elle trouvait même parfois écho chez des auteurs qui avaient pris totalement leurs distances avec elle.
À cette fin, il a multiplié dans tous ses ouvrages un nombre incalculable de références et de citations de toutes natures, de toutes époques, parfois fort longues, puisées dans ses innombrables lectures. À l’évidence, il y attachait une très grande importance argumentative. C’était là un élément, fondamental au sens propre du terme, de l’approche apologétique qui était la sienne dans toutes les matières dont il a traité. À ceux de ses amis qui lui faisaient reproche de cette surabondance de références, il répondait : « Si c'est le P. Juan [lui-même] qui dit ces choses, personne n'en tient compte, c'est pourquoi je dois invoquer l'autorité des autres, afin que l'on m'écoute » (6).
Cependant, là encore, un choix s’impose au traducteur : faut-il suivre l’auteur jusque-là ? La réponse négative nous a paru s’imposer avec d’autant plus de certitude que nombre des textes ainsi cités sont tirés d’ouvrages étrangers, français très souvent, traduits en espagnol. La fidélité à ces citations exigerait de retrouver en bibliothèque chacun de ces ouvrages dans son édition d’alors, ce qui représenterait une entreprise titanesque qui dépasse tout autant nos moyens que notre envie.
Une entreprise qui, de surcroît, n’apparaît pas immédiatement utile pour faire connaître cette pensée méconnue. À d’autres reviendront l’honneur – et le labeur – de présenter une édition scientifique de l’œuvre de notre auteur.
Au reste, le temps a suivi son cours. La doctrine qui passait hier pour une audace sacrilège aux yeux de certains, que le P. Arintero avait à convaincre, est aujourd’hui assez largement reçue dans les milieux catholiques, où la vie d’oraison et la contemplation, en particulier, ne sont plus regardées comme des activités singulières d’âmes privilégiées.
La doctrine de l’appel universel à la sainteté, en particulier, a été proclamée pour l’Église universelle par le Deuxième Concile du Vatican, et l’ecclésiologie, par le travail du Magistère et des théologiens, s’est ouverte d’une conception juridique de l’Église à une conception organique.
Ce n’est pas – fort loin s’en faut – que cette doctrine toute entière nourrisse effectivement la vie quotidienne de chacun d’entre nous. Il demeure toujours d’actualité de la faire nôtre et de la propager. Cependant l’arsenal de citations auquel le P. Arintero avait dû recourir pour faire tomber les préventions dont il était l’objet ne paraît plus aussi nécessaire que jadis, parce que les thèses qu’elles venaient appuyer ne rencontrent plus aujourd’hui les mêmes résistances.
Telles sont les raisons qui nous ont conduit à ne pas reprendre systématiquement ces citations dans les traductions proposées, même si, çà et là, certaines sont reprises en raison notamment de leur force ou de leur beauté.
Ce choix, assurément, est arbitraire. Nous espérons qu'il sera néanmoins compris.
Patrick de Pontonx
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(1) Cf. sur ces points : Desenvolvimiento y vitalidad de la Iglesia, Fundación universitaria española, Seminario Suarez, Madrid 1974, t. 1, Presentación, pp. XXXII-XXXIV, du P. Arturo Alonso Lobo.
(2) Lettre adressée au P. J. Goderch, 22 juillet 1909, in Desenvolvimiento, t.3, Apéndice, p. 19.
(3) Ainsi que le notait Heidegger : « par la traduction, le travail de la pensée se trouve transposé dans l'esprit d'une autre langue, et subit ainsi une transformation inévitable. Mais cette transformation peut devenir féconde, car elle fait apparaître en une lumière nouvelle la position fondamentale de la question »(Questions I, Paris, Gallimard, 1968, pp. 9-11). Commentant ce passage, E. Gilson ajoutait : « Il me semble que je ne perdrais pas mon temps à tenter de traduire un écrit de Heidegger de sa langue dans la mienne ; je me sentirais plutôt invité à un effort pour assimiler sa pensée, suivi d'un autre pour en rejoindre les données à partir de ma propre langue ; ma traduction serait alors moins l'expression en français de ce que M. Heidegger en dit en allemand, que ce qu'en dirait Heidegger lui-même s'il pensait le même problème en français » (Linguistique et philosophie, Vrin 1969, p. 191, note 18).
(4) Ainsi en est-il, par exemple, dans le prologue de L'évolution mystique, lorsqu'il exprime la façon dont il convient de parler du surnaturel aux hommes de notre temps.
(5) Cf. A. Bandera, « À la lecture de Évolution mystique...», Vida Sobrenatural n° 90 (2011), pp. 26-32. Voir le texte traduit, sur ce site, à la page Librairie - Analyses.
(6) Cité in Desenvolvimiento..., t. I, Presentación, p. XXXII. On se reportera sur ce point à l'étude susvisée (en note n° 5) du P. Bandera.
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
« Vous qui êtes ici, dites un Pater à mon profit.
Pour moi ferez beaucoup et vous n’y perdrez mie. »
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