LA SINGULIÈRE IMPORTANCE DE L'EUCHARISTIE (2)
Il s’agit ainsi d’un banquet d’union très fraternelle, auquel ne peuvent prendre part que les amis intimes : « Mangez, mes amis, buvez, enivrez-vous, mes bien-aimés » (Cantique, 5, 1). Les premiers invités furent les apôtres lorsqu’ils méritèrent de recevoir le nom d’amis, ouverts aux secrets de Dieu (Jn 15, 14-15). Pourtant, le Seigneur a voulu leur laver les pieds, comme pour leur indiquer l’extrême pureté de vie que ce banquet requière. Personne sous peine de condamnation, ne peut s’y présenter sans le vêtement nuptial de la charité (Mt 22, 11-13). Ceux qui sont souillés sont exclus du banquet des noces de l’Agneau (Apoc., 19, 9 ; 22, 15). En revanche, ceux qui, l’âme pure et ornée de vertus, assistent fréquemment à ce banquet divin, grandissent merveilleusement en union de charité. Les premiers disciples, en même temps qu’ils « persévéraient dans la doctrine des apôtres, dans la prière et dans la commune fraction du pain », comme dit saint Luc (Actes, 2, 42-46 ; 4, 32), avaient une seule âme et un seul cœur.
Cependant, l’Eucharistie ne se borne pas à produire cette union de conformité. Elle produit peu à peu une transformation totale des âmes en Jésus-Christ. Pour produire cette dernière, c’est Lui-même qui vient à nous sous forme d’aliment : à ceci près que celui-ci, étant divin, est plus fort que nous et nous transforme en lui, au lieu que nous le transformions nous-mêmes en notre propre substance.
C’est ce qui fut promis à saint Augustin par ces mots : « Je suis la nourriture des grands ; grandis, et tu me mangeras. Mais tu ne me changeras pas en toi, ainsi qu’il arrive pour la nourriture de ton corps, c’est toi qui changeras en Moi » (Conf. 1,7,10). « Comme ce pain céleste excède incomparablement en vertu ceux qui le prennent, disait saint Albert le Grand, il les change en lui-même » (in IV d. 9 a. 4 ad 1). « La participation du corps et du sang du Christ, enseignait saint Léon, ne fait rien d’autre que de nous faire devenir ce que nous recevons » (Sermon 62, de pass., 12 c. 7). « Celui qui s’approche avec pureté de cœur au divin banquet, disait saint Denis, obtient, par sa participation, d’être transformé en la Divinité » (Eccl. Hier. C. 3, § 1).
« L’effet propre de ce sacrement, observe à son tour saint Thomas (1), est la conversion de l’homme en Jésus-Christ, de telle sorte qu’il puisse dire en vérité : Je vis, mais ce n’est pas moi qui vis, c’est Jésus-Christ qui vit en moi », parce que, comme il est ajouté dans un opuscule faussement attribué au même saint docteur, « le Seigneur fait membre de son corps mystique celui qui le mange. (...) Il se l’incorpore et se l'unit par la charité, il le rend l’image fidèle de sa bonté. (...). De même qu’une goutte d’eau tombée dans un grand vase plein de vin se change complètement en vin (...), de même, l’immensité de la grande douceur et de la vertu du Christ, s’emparant de notre pauvre cœur, le transforme afin que par nos pensées, nos paroles et nos œuvres nous ne ressemblions plus aux hommes du monde, ni à nous-mêmes, mais à Jésus-Christ » (De sacram. Alt., c. 20) (2).
Voilà pourquoi les saints docteurs attribuent très singulièrement à l’Eucharistie la vertu de transformer les chrétiens dans le Christ lui-même, en les incorporant parfaitement à Lui.
Par cette union et cette transformation amoureuses se consomme dans les corps eux-mêmes le mariage mystique du Verbe avec les âmes. Celles-ci étaient déjà ses épouses, d’une certaine manière, par la grâce. Cependant, par l’Eucharistie, elles deviennent “concorporelles” et “comparticipantes” des mêmes biens (3).
Elles jouissent de Lui et le possèdent, en même temps qu’elles sont possédées par Lui, de sorte qu’elles peuvent déjà dire : « Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui, il fait paître son troupeau parmi les lis » (Cant. 2, 16). C’est pourquoi saint Ephrem disait avec raison : « c’est dans les divins mystères que se réalise l’union consommée des âmes avec l’Époux immortel » (De extr. Iud. et compunct.). Voilà pourquoi les fruits de cette très douce union s’étendent à nos corps eux-mêmes, qui viennent ainsi participer de la pureté, de la sainteté, de la gloire et de l’incorruptibilité de celui de Jésus-Christ » (4).
« Si donc il y a un sacrement qui mérite le nom de mariage spirituel, c’est assurément celui-là - dit Bellamy (pp. 268-269) - l’Eucharistie, où se consomme ici-bas notre union avec le Sauveur. Ce qui, en effet, constitue le mariage c’est le don personnel réciproque des époux, et l’Eucharistie réalise pleinement cela dans l’ordre surnaturel, car en elle nous est livré Jésus-Christ lui-même tout entier et sans aucune réserve ». Il se livre aussi aux âmes pour qu’elles se livrent également, afin que, trouvant en lui toute leur nourriture, elles vivent seulement en Lui et de Lui, par une vie tellement chrétienne qu’ils demeurent transformés en Jésus-Christ lui-même, vivant en elles. L’Eucharistie est donc, comme « le nœud du lien matrimonial qui nous unit au Verbe incarné, en nous donnant quelque chose de plus que les autres sacrements, en nous apportant, sinon une participation plus abondante de la nature divine, du moins une union tout à fait spéciale avec l’Humanité de notre Seigneur ».
« Son corps, dit Bossuet, n’est plus à lui, mais à nous, notre corps n’est plus à nous, mais à Jésus-Christ. C’est le mystère de la jouissance, le mystère de l’Époux et de l’Épouse. Il est écrit : “Le corps de l’Époux n’est pas en sa puissance, mais en celle de l’Épouse” (1 Cor. 7, 4). Sainte Église, chaste Épouse du Sauveur, âme chrétienne qui l’avez choisi pour votre Époux dans le baptême en foi et avec des promesses mutuelles, le voyez-vous ce corps sacré de votre Époux ? Il n’est plus en sa puissance, mais en la vôtre : "Prenez-le", dit-il (Lc 22, 19), il est à vous ; Jésus le veut posséder. Ainsi vous serez unis corps à corps, et vous serez deux dans une chair ; ce qui est le droit de l’Épouse et l’accomplissement parfait de ce chaste, de ce divin mariage » (Médit. sur l’Évangile, La Cène, 24).
Il n’y a rien d’étrange à ce que les saints qui ont eu l’idée la plus haute des mystères de cette divine union se soient distingués par leur amour très ardent du Très Saint Sacrement, par leurs vifs désirs de le recevoir tous les jours, pour être fortifiés de ce Pain céleste, y reprendre courage, se renouveler à cette source de vie, et s’enivrer des délices de l’amour divin (5).
Dans les merveilleuses histoires des grands amis de Dieu, le plus admirable est ce qui se réfère à leur dévotion pour le Très Saint Sacrement (6).
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(1) in IV Sent., d. 12 q. 2 a. 1 ad 1.
(2) Vous avez voulu laisser à l’âme votre Corps et votre Sang - dit sainte Madeleine de Pazzi (p. 1a, c.1411), afin qu’elle puisse continuellement demeurer en Vous et se voir en quelque sorte déifiée et transformée par cette communication et cette union continue. Oh, quels délicieux entretiens a cette âme avec Vous lorsqu’elle repose en votre cœur, et Vous dans le sien, pour peu qu’elle ait un peu d’amour ! Et comment ne demeurerait-elle pas embrasée par les flammes ardentes de votre charité et dans le brasier d’amour que vous allumez en elle lorsque vous entrez en son sein d’une manière si merveilleuse et si affectueuse ? (...) En effet, que faites-vous là ? Vous nous avez préparé des pensées que je ne ne puis appeler que des pensées d’amour, car ceux qui vous reçoivent participent à un certain point de votre capacité et de vos communications divines (...). Vous êtes ce chemin nouveau dont parle l’Apôtre... « nous avons, par le sang de Jésus un libre accès dans le sanctuaire, par la voie nouvelle et vivante, qu’il a inaugurée, pour nous à travers le voile, c’est-à-dire à travers sa chair » (Hébr. 10, 20). De même que les eaux qui tombent dans la mer perdent aussitôt leur nom et leur existence propre, de même lorsque nous entrons dans cet océan de la Divinité. Que se produit-il ? J’ai dit : vous êtes des dieux (Ps. 81, 6). Celui qui s’unit à Dieu, devient un esprit avec Lui (1 Cor. 6, 17). En outre, dans cette union, l’Époux vient à nous pour prendre part à notre banquet et ordonner en nous la charité. C’est alors qu’ont lieu ces pures et chastes embrassades, qui peuvent être offertes en union avec celles des divines Personnes dans l’unité de l’essence de la Très Sainte Trinité, et dont elles ne sont qu’une image, ou une figure. Comme sont doux les délices que nous goûtons dans la complaisance de l’union des trois Personnes divines ! ». Saint Jean Damascène (De fide orthod. L. 4 c. 14) compare ce divin sacrement au charbon ardent que vit Isaïe en esprit (6, 6). « Car de même que ce charbon est tout empli de feu, de même ce Pain vivifiant apporte avec lui la Divinité, afin qu’en n’en recevant, non seulement nous soyons enflammés, mais que nous soyons déifiés : Ut igniamur et deificemur ». C’est pourquoi saint Thomas dit que ce sacrement n’est pas seulement un gage, mais d’une certaine manière l’obtention de la gloire : Pignum aeternae gloriae, ainsi qu’il l’indique dans l’Office du Saint- Sacrement, et il ajoute en un autre lieu (IIIa q. 79 a. 2) : « il revient à ce sacrement de causer l'obtention de la vie éternelle ». Le sacrement lui-même représente l’éternelle fruition de Dieu : « il préfigure la jouissance de Dieu dans la patrie » (ibid., q. 73 a. 4).
(3) « Pourquoi recevons-nous la sainte Eulogie, si ce n’est pour que Jésus-Christ habite en nous corporellement ? L’Apôtre, en écrivant aux nations, leur disait divinement qu’ils étaient devenus concorporels, comparticipants et cohéritiers du Christ (Eph. 3, 6). Comment devinrent-ils concorporels, si ce n’est par la participation de l’Eulogie mystique ? » (saint Cyrille d’Alexandrie, 1.4 Contra Nestor., PG 76, 193).
(4) « De chacune des âmes qui vous reçoivent, on peut bien dire, ajoute sainte Marie-Madeleine de Pazzi (p. 1a, c. 33), ce que l’Église dit de Marie : “Tu as reçu en ton sein celui que les cieux ne peuvent contenir”. De même que Marie, selon la vision de saint Jean, s’est montrée revêtue du soleil, de même l’âme qui vous a reçu demeure elle aussi revêtue du Soleil de justice, que vous êtes Vous-même. Je dirai plus, elle est revêtue, à un certain point, du soleil de votre vision, même si celle-ci est voilée par une nuée qui lui cache une grande partie de votre charité divine. Elle ne peut jouir de cette vision comme les bienheureux dans le ciel, mais comme les âmes privilégiées de la terre ; c'est-à-dire par une semi-lumière que je ne sais définir et qui ne peut être comprise que de Celui qui la donne et de celui qui la reçoit ». « L’une des opérations que Dieu fait en l’âme, dit saint Angèle de Foligno (Vis. c. 27), est le don d’une immense capacité, pleine d’intelligence et de délices, pour sentir comment Dieu vient dans le sacrement de l’autel avec son grand et noble cortège ».
(5) « Par la vertu de ce sacrement - dit saint Thomas d’Aquin - l’âme est spirituellement restaurée, du fait qu’elle est délectée et d’une certaine manière enivrée par la douceur de la bonté divine, selon la parole du Cantique (5, 1) : “Mangez, mes amis, et buvez ; et enivrez-vous, mes bien-aimés” » (Somme de théologie, III, q. 79, a. 1 ad 2). Ainsi, les très aimés et les amants s’enivrent de ces douceurs divines, tandis que les simples amis ne font que les goûter.
(5) Fr. Arnoldo, confesseur de sainte Angèle de Foligno, disait d’elle : « Elle ne communia jamais sans recevoir une grâce immense et chaque fois une nouvelle grâce » (Prol. 2). « C’est le moment le plus heureux des mortels » entendit le P. Hoyos dire par les anges alors qu’elle achevait de communier.
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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