LA VIE MYSTIQUE DE SAINTE THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS (5)
Ce jour-là, notre rencontre ne pouvait plus s'appeler un simple regard, mais une fusion. Nous n'étions plus deux : Thérèse avait disparu comme la goutte d'eau qui se perd au sein de l'océan, Jésus restait seul : II était le Maître, le Roi !... toute la joie du Ciel venant dans un cœur ; ce cœur exilé, faible et mortel, ne peut la supporter sans répandre des larmes. » (Vie, chap. IV).
Plusieurs fois durant le cours de sa vie, l'onction de la divine Sagesse se répandra ainsi dans son âme et jusqu'à lui arracher ce cri : « Dieu fait bien de se voiler à mes regards, de me montrer rarement et comme “à travers les barreaux” les effets de sa miséricorde, je sens que je ne pourrais en supporter la douceur ».
Depuis sa première communion, nous pouvons dire que Thérèse, apparaît déjà en plein état mystique. Quoi que celui-ci ne soit pas toujours visible, il se fera connaître, bientôt, très clairement, par l'incapacité croissante de la Sainte pour certaines oraisons plus ou moins incompatibles avec l'état passif de l'âme ; et aussi par sa répugnance pour certaines lectures dévotes qui, auparavant, lui étaient agréables et utiles. Par contre, nous la verrons s'affectionner à d'autres, telles que les œuvres de saint Jean de la Croix, si difficiles à comprendre, surtout à goûter, jusqu'à ce qu'elles aient plus ou moins réveillé les sens intérieurs et spirituels du lecteur. Elle dira de cette lecture : « Ah ! que de lumières n'ai-je pas puisées dans les œuvres de saint Jean de la Croix ! À l'âge de dix-sept et dix-huit ans, je n'avais pas d'autre nourriture ».
Elle devait, en effet, s'assimiler très parfaitement cette doctrine si sûre qui lui fit acquérir un plus grand amour de la croix, niais que son cœur délicat et tendre voulut présenter aux âmes couverte de rosées, plutôt que dans la nudité et la rudesse du célèbre Docteur du Carmel.
Plus tard, nous verrons s'accentuer chez Thérèse cette impuissance qui va s'étendant peu à peu à toutes sortes de lectures en dehors de l'Évangile ou de l'Écriture Sainte. Elle n'a plus soif que de la parole du Verbe, et, comme sa sainte Mère Thérèse, elle ne craint pas de dire que les écrits « recherchés » la fatiguent : « Quand je lis certains traités où la perfection est montrée à travers mille entraves, mon pauvre petit esprit se fatigue bien vite ; je ferme le savant livre qui me casse la tête el me dessèche le cœur et je prends la Sainte Écriture. Alors, tout me parait lumineux ; une seule parole découvre à mon âme des horizons infinis, la perfection me semble facile, je vois qu'il suffit de reconnaître son néant et de s'abandonner, comme un enfant, dans les bras du bon Dieu. » (Vie, lettre VI à ses frères spirituels).
« Dieu vit avec les simples, dit l'auteur de l'Imitation, il se révèle aux humbles, il donne l'intelligence aux petits, il ouvre l'esprit aux âmes pures ».
C'est parce que Thérèse fut tout cela, qu'elle mérita une aussi abondante effusion des dons de l'Esprit-Saint. C'est aussi parce qu'elle fut humble, simple et pure que Dieu lui découvrit « la petite voie » et l'admirable « ascenseur » dans lequel les tous petits peuvent si facilement, grâce aux invitations de la divine Sagesse, remonter aux sommets de la sainteté.
LA PETITE VOIE
Cette « voie », que Thérèse voulait enseigner au monde, promettant de le faire encore, du haut du ciel, cette « petite voie » qu'elle regardait comme si sûre, vient d'être déclarée telle par la Sainte Église. N'est-elle pas la manifestation touchante de l'Amour miséricordieux du divin Cœur ?
Avec quelle insistance ne daigne-t-il pas offrir ses intimes communications à tous ceux qui voudront bien seulement les recevoir, à ceux qui ont une vraie faim et soif de la justice et désirent apprendre de Lui la douceur et l'humilité pour trouver le repos de leurs âmes (Mat. 11, 28-29) !
« “La petite voie”, m'écrit une personne qui la connaît par expérience, est une sorte d'appel de toutes les âmes à la contemplation infuse, et la meilleure préparation pour celle-ci ; car la base de la “petite voie”, c'est l'humilité, la pauvreté spirituelle, la nudité et le détachement. Le petit enfant, se voyant si pauvre et misérable, se fuit lui-même pour se jeter dans les bras de Dieu, de qui il espère tout ».
« Sœur Thérèse, dit le R. P. Gabriel de Sainte Marie-Madeleine, paraît avoir saisi, d'une façon pénétrante, que l'œuvre de la sanctification de l'âme est, avant tout, l'œuvre de Dieu. Et c'est bien là, croyons-nous, la pensée qui sert de fondement à la “petite voie” : c'est la racine de l'abandon parfait du petit enfant, se confiant pour tout en son père ».
En effet, au risque de nous répéter, nous ajoutons — car c'est là ce qui caractérise notre Sainte — qu'elle ne pensa jamais acquérir par elle-même, une chose aussi élevée que la divine contemplation, vers laquelle cependant elle se sentait si fortement attirée : elle ne voulait pas s'élever elle-même, mais, suivant le conseil de sainte Thérèse [d'Avila], elle voulait que Dieu relevât et la fit monter au sommet de la montagne d'amour.
Sa voie, son ascenseur, elle les trouvait en Jésus. N'est-ce pas Lui, Sagesse éternelle, qui a dit : « Si quelqu'un est tout petit qu'il vienne à moi... (Prov. 9, 4). Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous bercerai sur mes genoux (Is. 66, 12-13) ».
Faisant écho à cette divine parole, Sœur Thérèse s'écrie dans son chant à l'Aigle divin : « Moi, je suis trop petite pour faire de grandes choses, et ma folie c'est d'espérer que ton amour m'accepte comme victime ; ma folie, c'est de compter sur les Anges et les Saints pour voler jusqu'à toi, avec tes propres ailes, ô mon Aigle adoré ! ».
« Je sens toujours la même confiance audacieuse de devenir Sainte... et j'espère en Celui qui est la Vertu, la Sainteté même. C'est Lui seul qui, se contentant de mes faibles efforts, m'élèvera jusqu'à Lui et me fera Sainte. »
Si elle ne parla ni de contemplation infuse, ni de grâces mystiques — qu'elle connaissait pourtant par expérience — nous croyons que ce fut à dessein et à cause du sens tout humain que l'on prête à ces choses. Beaucoup pensent, en effet, que c'est de l'orgueil d'y aspirer... et cependant, sans cette contemplation, il est impossible d'arriver à la vraie et solide perfection, à la sainteté à laquelle nous sommes tous appelés (1).
Elle répète, au contraire, à chaque instant, que, dans sa vie, tout est ordinaire, que les petites âmes peuvent l'imiter en tout. Or, il est à remarquer que, par ordinaire, elle n'entend pas ce qui est vulgaire... mais normal et non extraordinaire dans la sainteté. Avec la simplicité de vie que nous voyons dans sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus. Personne, maintenant, n'a d'excuse ; personne ne peut se croire exclu, quelque pécheur et pauvre de vertus qu'il soit... car elle nous appelle tous. Et c'est là, peut-être, le secret de la rapide glorification de cette petite grande sainte.
Sœur Thérèse, d'ailleurs, à l'exemple des Saints, — et ainsi que nous devons tous le faire — ne se proposa jamais, comme fin directe, d'atteindre la contemplation divine, ni de s'enrichir de telles ou telles grâces, mais seulement d'aimer Dieu pour Lui-même, de lui faire plaisir en tout, de le consoler, de le réjouir par ses petits sacrifices. Elle chercha d'abord le royaume de Dieu, et le reste lui fut donné par surcroît. De saint Jean de la Croix elle apprit pratiquement que, pour aller à Dieu, il faut le chercher dans la parfaite nudité de l'esprit, le chercher Lui seul. Quand on le cherche avec cette pure intention et ce parfait amour, on le trouve comme elle le trouva, Il se communique comme il se communiqua à elle, par ces ineffables touches divines, qui ont la saveur de la vie éternelle.
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(1) S. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, 1-2, q. 68 a. 2 ; 3, q. 62 a. 2 ad 2.
ARINTERIANA
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Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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