DÉVELOPPEMENT ET VITALITÉ DE L'ÉGLISE (2)
En même, temps elle puise opportunément en elle, « tirant le nouveau de l’ancien », se renouvelant comme l’aigle en une jeunesse perpétuelle, déployant la variété de ses splendeurs, illuminant les hommes selon leurs nécessités, portant enfin à tous les siècles la parole éternelle qu’ils attendent d’elle pour leur salut. Ainsi elle harmonise la spéculation et le sentiment, l’élévation des idées et un sens parfait de la réalité, un fidèle et inébranlable amour de la Tradition et le sens d’une continuelle rénovation, en corrigeant ou évitant radicalement les désordres qui pourraient résulter de l’une de ces tendances, si elles devaient agir séparément.
Par sa vitalité indéfectible, l’Église vit et vivifie tous ceux qui la reçoivent, en leur donnant une vie intégrale et pleine. En vivant et en vivifiant autrui, elle évolue continuellement, sans se transformer jamais ni cesser d’être intégralement la même. Elle demeure celle que Jésus-Christ a instituée aux jours de son pèlerinage, celle dont il a voulu, comme le grain de sénevé, et conformément à la loi vitale qu’il a inscrite en elle, qu’elle se développe jusqu’à couvrir de son ombre toute la terre, croissant en tout selon Lui, pour pouvoir, en sa totalité, parvenir à la mesure de l’Homme parfait.
5.- Quoi, l’Église, évoluer ! Ceux qui prennent le mot évolution au mauvais sens du terme, ou ne le considèrent qu’avec méfiance, regarderont une telle affirmation comme une hérésie, ou du moins comme une nouveauté suspecte. Mais ceux qui le prennent pour ce qu’il signifie, selon le sens que lui a donné saint Vincent de Lérins, - comme synonyme d’accroissement ou d’expansion – cette expression ne signifie rien d’autre que la vie toujours croissante de la sainte Eglise catholique, dont la catholicité se manifeste précisément dans cette incoercible expansibilité.
La véritable évolution constitue un progrès, non un recul. C’est un acte d’édification, et pas de destruction. Elle implique un certain accroissement, une certaine expansion et une rénovation vitale. Elle exclut ce qui est dommageable, ce qui déprécie, démolit, dissout. En d’autres termes, elle exclut la transformation mortifère, laquelle détruit les éléments vitaux sous prétexte de les remplacer par des nouveautés artificielles, comme ont toujours tenté de le faire les faux réformateurs (1).
C’est ce que s’efforcent de faire aujourd’hui les modernistes, en proposant sous le nom “d’évolutions” toute une série de transformations radicales. Ils travaillent, non pour recueillir avec le Christ, mais pour répandre et dissiper ; non pour édifier sur les fondements éternels, établis une fois pour toutes, mais pour détruire tout l’édifice chrétien, en minant ses bases elles-mêmes.
Ils détruisent le concept du dogme de la foi, des sacrements, de la hiérarchie, de l’autorité ecclésiastique. Par les faux principes du positivisme et de l’agnosticisme, du criticisme, du pragmatisme et de l’immanentisme, qu’ils amalgament malicieusement, ils ébranlent les fondements de la raison naturelle elle-même, qui doit démontrer les préambules de la foi et la crédibilité de nos dogmes très saints. A tous égards, ce n’est pas une rénovation mais une dévastation, une désolation.
L’Esprit souverain de sagesse et d’intelligence, qui renouvelle toutes choses comme il convient, forge des amis de Dieu et des prophètes, et non pas des blasphémateurs, des séducteurs et des apostats. Les renouvellements qui sont les siens suivent un plan déterminé qui, en toutes les phases de sa réalisation progressive, demeure identique. Esprit de la Vérité même, jamais il ne peut se contredire, jamais il ne dément par l’un de ses organes véritables ce qu’il a affirmé par un autre. Par la main des réformateurs légitimes, il ne détruit pas ce qu’il a édifié pour toujours par celles des apôtres, des prophètes, des docteurs et des pontifes qu’il a suscités, ou des Conciles dont il a inspiré la réunion.
Nous devons toujours nous renouveler, de plus en plus, oui, mais dans l’Esprit éclairant notre esprit, et non pas en nous laissant porter à tous vents de doctrine (Eph. 4,14-32), ni par quelque esprit que ce soit, contraire à celui de Dieu (1 Jn 4,1-6). Or celui-ci est saint, unique, suave, pur (Sag. 7,22). Ni il nie, ni il ne dissout Jésus-Christ, bien au contraire. Il nous porte à nous renoncer, à nous dépouiller complètement de nous-mêmes, c'est-à-dire du vieil homme et de tous ses agissements, de ce qu’il emprunte au monde, de ses appréciations et traditions humaines, pour nous revêtir de plus en plus de l’Homme nouveau, de toutes ses pensées et sentiments (Col. 3,9-12). De la sorte, une fois débarrassés de l’ancien ferment, nous deviendrons azymes de vérité et de sincérité (1 Cor. 5,7-8). Revêtus de celui qui est Lumière du monde, nous serons éclairés par la lumière de la vie, nous vivrons en tout comme des enfants de lumière (Eph. 5,8) et les ténèbres du monde ne nous envahiront plus. Nous serons de fidèles disciples du Verbe. Nous connaîtrons la Vérité, et la vérité nous rendra libres (Jn 8,31-32), nous préservant des tromperies du démon et du monde, des illusions et des assauts des passions humaines et des pièges de toutes les erreurs anciennes ou modernes. C’est à cette condition seulement qu’il est possible d’édifier solidement selon la volonté du Père, sans détruire en rien son œuvre, sans désédifier notre prochain.
Il ne faut pas, sous prétexte d’éviter les excès de la stagnation, c'est-à-dire la pétrification du conservatisme (2) verser dans l’extrême opposé, bien plus dangereux, qui est celui du modernisme, lequel conduit au suicide sous prétexte de revivification.
Les modernistes, qui prétendent en savoir plus que les autres, sans « sapere ad sobrietatem », se dissipent en leurs pensées, se laissent séduire par des philosophies vaines et fausses, fondées, non sur le Christ, mais sur des apparences humaines et les maximes du monde. Ils prétendent mieux comprendre que l’Eglise le message de lumière et d’amour qu’elle est chargée de porter et d’annoncer à tous les hommes.
Se croyant capables d’expurger par une critique acérée les anciens éléments profanes qui ont pu s’infiltrer dans la doctrine catholique, ils se laissent en réalité envahir, et sans résistance aucune, par les erreurs modernes. Ils sont ainsi conduits du rationalisme au panthéisme et à l’athéisme, ou, pour le moins, à ce naturalisme déprimant et asphyxiant qui, sous prétexte d’assurer notre autonomie, sature aujourd’hui toute l’atmosphère scientifico-sociale (3).
Pour se prémunir de cette contagion et éviter radicalement les dégâts du modernisme, il n’est rien de plus à propos que de susciter, en soi et chez les autres, le vif sentiment de la foi. Il faut fomenter l’amour de la Tradition catholique et le respect de l’autorité établie par Jésus-Christ. Il faut purifier nos sens spirituels par la fidèle pratique des vertus chrétiennes, de manière à tout sentir avec notre sainte mère l’Eglise, sans jamais nous illusionner nous-mêmes.
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(1) « Le véritable réformateur “ne recherche pas sa propre gloire, mais la gloire de celui qui l’a envoyé” (Jn 7,18) ; comme le Christ, son modèle, “Il ne crie pas, il n'élève pas le ton, il ne fait pas entendre sa voix dans la rue… il ne s’attriste pas et ne s’afflige pas (Is. 42,2 ; Mt 12,19), il est doux et humble de cœur (Mt 11,29). Celui-là est agréable à Dieu et obtiendra de très abondants fruits de salut » (s. Pie X, Encycl. Editae saepe, n° 33).
(2) Le P. Arintero utilise ici le mot « antiquismo », plus fort encore. On pourrait traduire aujourd'hui par "intégrisme". Ce serait une erreur de voir ici une analyse du conflit contemporain entre "traditionalistes" et "progressistes". Si le modernisme reste le même, le "conservatisme" que fustige le P. Arintero est essentiellement celui qui s'oppose à tout progrès intérieur pour ne faire de la religion qu'une habitude (NdT).
(3) « C’est une loi historique qu’après une hérésie radicale et franche, survient toujours une semi-hérésie dissimulée et moins radicale. Après l’arianisme, le semiarianisme ; après le pélagianisme, le semipélagianisme ; après le calvinisme, le jansénisme; toutes doctrines défendues par des gens qui prétendent être toujours catholiques, et réconcilier l’erreur et l’orthodoxie (…). Le même phénomène se produit aujourd’hui. La grande hérésie moderne est le rationalisme et le naturalisme : celle-ci est rejetée (…) ; mais on lui concède quelque chose et, à forces d’atténuations, on élimine pratiquement le surnaturel » (cf. Baudrillart, in Rev pr. d’Apol., 15 nov. 1907, p. 234- traduit de l’esp.). Telle est la tendance moderniste – ajoute Arintero en cette note – laquelle, en se donnant pour sage, blasphème. « Il est meilleur et plus utile d’être ignorant et de savoir peu de choses, et d’être proche de Dieu par la charité, que de croire que l’on sait beaucoup et d’apporter la preuve que l’on blasphème contre Dieu même » (s. Irénée, Adv. Hær., II, 21, 1, PG, 7, 800).
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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Pour moi ferez beaucoup et vous n’y perdrez mie. »
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